L'impossible séparation du droit pénal sexuel et de la morale ?

La pornographie et le travail du sexe à l'épreuve de nouveaux discours prohibitionnistes

Camille Montavon *

En 1992, la révision du chapitre 5 du Code pénal suisse - autrefois intitulé infractions contre les mœurs et renommé infractions contre l'intégrité sexuelle - marque la renonciation à la morale comme justification de la répression de comportements sexuels. Or, au-delà du fait que certains articles du droit pénal sexuel portent encore les stigmates du droit pénal des mœurs, les comportements qu'ils visent n'ont surtout de cesse fait l'objet de discours prohibitionnistes. Prenant pour exemples la pornographie (art. 197 CP) et la prostitution (art. 199 CP), cette contribution montre que la morale, sans disparaître des discours destinés à légitimer l'encadrement pénal de certaines expressions de la sexualité, s'est progressivement éclipsée au profit de la dignité humaine et de la protection des femmes. De nouveaux discours prohibitionnistes qui pourraient toutefois se révéler être des moyens d'imposer, en des termes moins connotés, une certaine morale sexuelle, en ce qu'ils méconnaissent la logique conséquentialiste et consensualiste censée guider la restriction de la liberté sexuelle par le droit pénal (s'agissant des actes entre adultes).

Mit der Revision des fünften Titels des Schweizerischen Strafgesetzbuches im Jahr 1992 - früher «Strafbare Handlungen gegen die Sittlichkeit» und heute «Strafbare Handlungen gegen die sexuelle Integrität» - wurde die Moral als Rechtfertigung für die Unterdrückung sexueller Handlungen abgeschafft. Abgesehen davon, dass einige Artikel des Sexualstrafrechts noch immer das Stigma des Sittenstrafrechts tragen, sind die unter Strafe gestellten Tatbestände Gegenstand ständiger Prohibitionsdiskurse gewesen. Anhand der Beispiele Pornografie (Art. 197 StGB) und Prostitution (Art. 199 StGB) zeigt dieser Beitrag, dass die Moral zwar nicht aus dem Diskurs zur Legitimation der strafrechtlichen Erfassung bestimmter Ausdrucksformen der Sexualität verschwunden ist, aber allmählich zugunsten der Menschenwürde und des Schutzes von Frauen in den Hintergrund getreten ist. Neue Prohibitionsdiskurse könnten sich jedoch als Mittel erweisen, um in weniger konnotierten Begriffen eine gewisse Sexualmoral durchzusetzen, da sie die konsequente und konsensuale Logik verkennen, die die Einschränkung der sexuellen Freiheit durch das Strafrecht (in Bezug auf Handlungen zwischen Erwachsenen) bestimmen soll.

Citation: Camille Montavon, L'impossible séparation du droit pénal sexuel et de la morale ?, sui generis 2023, S. 43

URL: sui-generis.ch/227

DOI: https://doi.org/10.21257/sg.227

* Camille Montavon, Docteure en droit, Maître-Assistante à l'Université de Genève, et co-responsable de la Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables (camille.montavon@unige.ch).


« Es gibt gar keine moralischen Phänomene, sondern nur eine moralische Ausdeutung von Phänomenen »[1]

I. Introduction

« Morale et droit, nous sommes habitués à les voir marcher en couple »[2]. Ces mots du juriste Jean Carbonnier trouvent un écho à la lecture du chapitre 5 de la première version du Code pénal suisse de 1937, incriminant des comportements de nature sexuelle sous le titre d' infractions contre les mœurs. Une séparation est annoncée en 1992, à l'occasion d'une réforme visant notamment à renoncer à la morale comme justification de la répression en matière sexuelle : le chapitre des infractions contre les mœurs est renommé infractions contre l'intégrité sexuelle, avec pour fin exclusive de préserver autrui d'un dommage[3].

À bien y regarder, il apparaît toutefois que, non seulement, certaines dispositions du droit pénal sexuel portent encore les stigmates du droit pénal des mœurs mais qu'elles ont, de surcroît, continuellement fait l'objet de discours revendiquant des restrictions à la liberté sexuelle au nom d'une certaine morale sexuelle. Seule la terminologie utilisée à cette fin semble s'être transformée : sans totalement disparaître de ces discours, la notion de morale tend néanmoins à s'éclipser pour laisser place à celle de dignité humaine, voire de protection des femmes. Nous parlons à cet égard de nouveaux discours prohibitionnistes, inscrivant la justification des limitations à la liberté sexuelle dans un autre registre que celui de la morale, mais au cœur d'argumentaires dont la logique pourrait bien s'avérer inchangée.

La présente contribution entreprend d'interroger le relais de notions (de la morale à la dignité humaine) à l'œuvre dans les textes d'une pluralité d'acteur·trice·s (autorités judiciaires, législatives et exécutives, partis politiques, ONG, etc.) portant sur deux dispositions pénales longtemps justifiées à travers le prisme de la morale : l'art. 197 CP[4] incriminant la pornographie, rediscuté dans le cadre de la révision des infractions sexuelles initiée en 2020 ; et l'art. 199 CP sur la prostitution, dont la légalité a été mise en cause la même année devant le Parlement. L'hypothèse à tester est que la notion de dignité humaine serait devenue un prétexte pour (ré)imposer, sous des termes moins polémiques, une certaine morale sexuelle. Pour ce faire, nous recourrons, d'une part, à des sources primaires, soit les textes juridiques, leurs interprétations jurisprudentielles et les textes d'autorités officielles ; d'autre part, à des sources secondaires, à savoir la doctrine et les prises de position écrites de partis politiques et d'organisations non gouvernementales (ONG).

Que l'on parle de morale ou de mœurs, le champ sémantique est à l'évidence flou et, surtout, le lieu d'une concurrence entre différentes représentations subjectives. Aussi la morale se (s'in)définirait-elle ainsi : par son évolution à travers le temps et l'espace, ainsi qu'en fonction des différents groupes qui s'y réfèrent et qui, tous, ont leurs représentations propres de ce qui est moral ou non. L'étude des sources précitées, reflets du positionnement de divers·e·s acteur·trice·s, permettra en sus d'évaluer si la notion de dignité humaine est elle aussi appréhendée de manière plurielle.

Nous présenterons d'abord les enjeux sous-tendant la réforme du droit pénal en 1992 et le passage subséquent à de nouveaux modes de justification des restrictions à la liberté sexuelle (N 6 ss). Nous décrirons ensuite, à travers les exemples de la pornographie (N 10 ss) et du travail du sexe (N 26 ss), l'entreprise de légitimation de telles restrictions au nom de la dignité humaine et de la protection des femmes.

II. La volonté d'affranchir le droit de la morale dans le Code pénal de 1992

À l'entrée en vigueur du Code pénal suisse de 1937, vingt-six articles incriminent, dans un chapitre 5 intitulé infractions contre les mœurs, des comportements dont la particularité commune est leur nature sexuelle. Les mœurs semblent ainsi faire référence à une sexualité « normale », en contrepoint de laquelle apparaissent des « sexualités illégitimes »[5], encadrées par une norme pénale. En 1980, une révision du Code est entamée notamment dans la perspective de moderniser des articles légaux en dissonance avec une perception renouvelée de la sexualité[6]. Dans ce sens, la Commission d'experts chargée de la refonte du chapitre 5 du Code entreprend d'abord de réécrire son libellé. Le terme mœurs en est effacé en raison de sa « consonance quelque peu moralisatrice »[7], et l'expression d'attentat à la pudeur se voit remplacée par celle d'actes d'ordre sexuel, préférée pour être « exempte de tout jugement de valeur »[8]. La Commission projette en outre de décriminaliser des comportements jusqu'alors considérés immoraux, à l'instar de l'adultère et de la débauche contre nature (pénalisation partielle de l'homosexualité[9]).

L'avènement du droit pénal sexuel procède d'un changement de paradigme, en ce qu'il marque la renonciation à la protection des mœurs en tant que bien juridique collectif au profit des biens juridiques individuels que sont la libre détermination en matière sexuelle et le développement sexuel harmonieux des mineur·e·s. Cette privatisation des intérêts protégés reflète un « glissement socio-anthropologique »[10], qui peut être compris au regard d'une conception de l'État elle aussi changée et qui se devine dans le Message du Conseil fédéral : « le citoyen doit [...] être libre de se comporter comme il l'entend pour autant que, ce faisant, il ne cause pas de dommage à autrui. Cela vaut tout particulièrement pour le comportement sexuel, qui fait partie de la vie privée de chaque individu »[11].

Cette limitation des possibilités d'intervention de la loi pénale à la survenance d'un préjudice pour autrui fait écho au harm principle théorisé en 1859 par John Stuart Mill, disciple de Jeremy Bentham et représentant avec ce dernier de la philosophie pénale utilitariste. Le principe de non-nuisance veut en effet que « la seule raison légitime que puisse avoir une communauté civilisée d'user de la force contre un de ses membres, contre sa propre volonté, est d'empêcher que du mal ne soit fait à autrui »[12], des raisons morales ne justifiant donc pas la criminalisation de comportements humains.

La volonté de modification du Code pénal exprime ainsi l'idée d'une séparation entre le droit pénal sexuel et la morale. Et de fait, toutes occurrences des mots mœurs, morale ou autres termes qui leur seraient sémantiquement associés disparaissent de ce chapitre du Code, rebaptisé infractions contre l'intégrité sexuelle lors de son entrée vigueur en 1992. Dans des pays ayant décidé, à la même époque, d'affranchir leur droit pénal sexuel de la morale, à l'image de la France et de l'Angleterre, certain·e·s auteur·e·s observent cependant le remplacement progressif de la notion de morale par celle de dignité humaine ou de protection des femmes dans l'interprétation jurisprudentielle des infractions sexuelles, tout comme dans les discours politiques destinés à légitimer la répression de certaines formes de sexualité, voyant en cela un autre moyen de promouvoir une morale sexuelle. En effet, la protection de la dignité humaine serait invoquée, pour Daniel Borrillo, comme un simple « prétexte pour imposer une vision puritaine de la sexualité »[13], pendant que la protection des droits des femmes serait, selon Anna Carline, un « smoke screen to push an undebated moral agenda that [is] illiberal and conformist »[14]. Une substitution de notions qu'illustrent bien, en Suisse, les discussions entourant l'encadrement pénal de la pornographie et du travail du sexe, dont la logique mérite dès lors d'être interrogée.

III. Autour de la répression de la pornographie

L'art. 197 CP incrimine la pornographie sous quatre variantes poursuivant autant de buts spécifiques : protéger les enfants de moins de seize ans de toute confrontation avec la pornographie (al. 1) ; éviter l'exposition non souhaitée des adultes à la pornographie (al. 2) ; protéger les mineur·e·s contre leur recrutement dans l'objectif de les faire participer ou favoriser leur participation à une représentation pornographique (al. 3) ; interdire la pornographie dite dure, c'est-à-dire impliquant des animaux, des actes de violence ou des mineur·e·s (al. 4 et 5). Cette disposition constitue la version modernisée de l'infraction de publications obscènes, une dénomination abandonnée lors du processus de révision du Code pénal en 1992 en raison de sa connotation morale, et remplacée par le terme pornographie , au motif qu'il serait plus objectif[15].

Toujours est-il que cette dernière notion est juridiquement indéterminée et que son interprétation dans le Message du Conseil fédéral relatif à la révision de 1992 laisse douter de son affranchissement de considérations morales. La pornographie y est décrite comme des représentations d'un comportement sexuel détaché « du contexte des relations humaines qu'il implique normalement », « le rendant ainsi vulgaire et importun »[16]. Difficile de ne pas voir ici un jugement de valeur, désapprouvant certaines expressions de la sexualité jugées contraires à une norme sexuelle qui se voit simultanément valorisée : la « bonne sexualité », celle qui n'est pas vulgaire et importune, serait celle qui s'inscrit dans le cadre de relations humaines.

Cette définition de la pornographie questionne aussitôt la doctrine juridique : « mais quelle sera l'aune à laquelle il conviendra de mesurer si un comportement sexuel est 'vulgaire et importun' ? », s'interroge par exemple Ursula Cassani[17]. Le Tribunal fédéral précise rapidement la notion de pornographie dite douce, en posant deux conditions à sa réalisation : les représentations ou les spectacles doivent être objectivement conçus pour exciter sexuellement ; et la sexualité doit être si fortement séparée des rapports humains et émotionnels que la personne concernée apparaît comme un simple objet sexuel dont on peut disposer à sa guise[18]. Voir en cette description une appréciation morale de la sexualité est loin d'être infondé lorsque l'on sait qu'en 2007 encore, le Tribunal fédéral rappelle que la pornographie est toujours considérée comme contraire à la « moralité », laquelle comprend « des normes extra-juridiques fondées sur des conceptions socio-éthiques qui font l'objet d'une reconnaissance générale dans la société » et « dépend dans une large mesure des valeurs sociales dominantes et des valeurs sociales essentielles »[19]. Ces mots constituent en soi une admission du caractère mouvant et ambigu des notions de morale et de moralité, dont il n'est au demeurant pas aisé de savoir si elles sont ici considérées comme synonymiques. Pour Stefan Heimgartner, il ne fait pas de doute que la définition jurisprudentielle de la pornographie suppose « un jugement moral sur des représentations non déterminées »[20]. La précision, par le Tribunal fédéral, de la notion de pornographie picturale ne change rien à ce constat : les médias sont pornographiques lorsque le comportement sexuel y est grossi, le gain de plaisir absolutisé, avec pour conséquence de réduire les êtres humains en des objets d'assouvissement sexuel et ainsi de nier la dignité humaine[21].

Cette interprétation jurisprudentielle a ceci d'intéressant que la légitimation de la répression de la pornographie fait intervenir un nouvel argument : la dignité humaine. Nous y reviendrons ci-dessous, pour constater à ce stade que, nonobstant ces variations terminologiques, les définitions jurisprudentielles précitées ont un effet identique : classifier et évaluer, en référence à un ensemble de valeurs sociales prétendument dominantes, différentes expressions de la sexualité, selon une logique qui n'échappe pas à un certain manichéisme. Si la pornographie est certes une notion juridique indéterminée dont les tentatives de définition se sont le plus souvent révélées insatisfaisantes ou sans issue - on pensera ici au fameux « I know it [pornography] when I see it » du juge américain Potter Stewart au cours du procès Jacobellis vs Ohio en 1964[22] -, il nous apparaît cependant important qu'elle soit, autant que possible, objectivée au moyen de critères descriptifs et factuels. Le fait que la représentation soit conçue pour l'excitation sexuelle est un premier élément convaincant pour évaluer son caractère pornographique. Il s'avère toutefois insuffisant et nécessite d'être cumulé à d'autres indices, sans quoi le champ d'application de la pornographie pourrait couvrir des images simplement érotiques. Notre proposition se rapproche de celle de Stefan Heimgartner, qui préconise le recours à des critères descriptifs à des fins définitionnelles[23]. Nous ajouterions ainsi, comme cet auteur, le fait que la pornographie donne à voir des « primäre oder sekundäre Geschlechtsmerkmale in extremis »[24], ce qui reviendrait, selon nous, notamment à concentrer le contenu de la représentation explicitement sur des caractéristiques telles que la stimulation d'organes génitaux. Il demeurerait inéluctablement une certaine marge de manœuvre dans l'interprétation de la pornographie, mais celle-ci serait essentiellement guidée par le recours à des critères factuels. Tel n'est pas le cas de l'appréhension de la pornographie par le Conseil fédéral et le Tribunal fédéral, qui tendent au contraire à mettre en relation de contraste une sexualité « normale » située dans des relations humaines et une sexualité pornographique jugée vulgaire car détachée de telles relations, nécessitant par conséquent d'être cachée.

Car c'est bien l'invisibilisation des représentations pornographiques que vise la norme pénale, dans l'objectif de protéger tantôt le développement sexuel paisible des mineur·e·s (art. 197 al. 1 CP), tantôt la libre détermination sexuelle (art. 197 al. 2 CP). Certes, la sauvegarde de ces biens juridiques protégés coïncide a priori avec le principe voulant que la répression de comportements sexuels préserve autrui d'un dommage. Or, s'agissant du premier alinéa (pénalisant l'offre et la mise à disposition de pornographie à des personnes de moins de seize ans), la doctrine critique la présomption selon laquelle le développement harmonieux d'un·e mineur puisse être dérangé par sa confrontation avec des représentations pornographiques, faute d'un lien scientifiquement prouvé entre la consommation de pornographie et un tel trouble[25]. En ce qui nous concerne, dans la mesure où ce présupposé étiologique n'est pas non plus infirmé par la science et qu'il est légitime que les mineur·e·s fassent l'objet d'une protection particulière en raison de leur plus grande vulnérabilité, nous n'oserions suggérer que l'infraction de l'art. 197 al. 1 CP repose essentiellement sur des considérations morales.

Ce qui peut être questionné, en revanche, c'est la construction de cette disposition en tant qu'infraction de mise en danger abstraite (ne nécessitant pas que le trouble se concrétise), qui plus est sans égard à l'autodétermination du ou de la mineur·e. À notre sens, l'infraction prévue à l'art. 197 al. 1 CP ne devrait être réalisée que dans le cas où serait apportée la preuve d'un préjudice concret. Ceci est d'autant plus important que l'âge limite de protection est élevé (seize ans). Au cours de la procédure de révision du Code en 1985, la Commission d'experts avait d'ailleurs suggéré d'abaisser cet âge, soulignant que des mineur·e·s de moins de quinze ans peuvent légalement avoir des rapports sexuels au sens de l'art. 187 al. 2 CP si la différence d'âge entre les partenaires n'excède pas trois ans, mais ne peuvent accéder à de la pornographie douce[26]. Autrement dit, la loi interdit de visionner la représentation de comportements qu'elle autorise par ailleurs à adopter. On peut y voir, comme Jean-Christophe Barbato, une croyance en « un pouvoir sorcier des images »[27], en ce sens que la sexualité représentée dans la pornographie (une sexualité détachée de tout contexte émotionnel et absolutisant le plaisir) serait forcément différente et plus néfaste que la sexualité vécue d'un·e adolescent·e, risquant de corrompre son rapport à celle-ci. Notons toutefois que cette incohérence trouve une résolution partielle au regard de l'art. 197 al. 8 CP qui, selon une logique semblable à celle de l'art. 187 al. 2 CP, exclut la punissabilité du ou de la mineur·e âgé·e de seize ans ou plus qui produit, possède ou consomme, avec le consentement d'une autre personne âgée de seize ans ou plus, des objets ou représentations de pornographie douce les impliquant.

L'art. 197 al. 2 CP, ensuite, est destiné à protéger la liberté de choix de tout individu à ne pas être confronté à de la pornographie à son insu, en condamnant quiconque montre en public des représentations pornographiques ou en offre à autrui sans y avoir été invité·e[28]. Les représentations sont interdites s'il peut être prédit qu'un cercle indéterminé de personnes, même restreint, ne s'attend pas à y être confronté. Également construite comme une infraction de mise en danger abstraite, réalisée même si la personne confrontée à du matériel pornographique ne s'en trouve perturbée, cette disposition pénale repose sur le présupposé que la pornographie risque de heurter ce que la jurisprudence nomme le « sentiment de décence en matière sexuelle du citoyen moyen »[29].

La référence au « sentiment de décence » ou à « la pudeur »[30] du « citoyen moyen » nous semble pour le moins problématique, puisqu'elle revient à objectiver un sentiment, en soi forcément subjectif, pour l'attribuer à une abstraction. C'est à se demander si le « citoyen moyen » ne devient pas ici une personnification d'une morale sexuelle prétendument dominante, alors même que celle-ci est, per se, variable. Enfin, cet argumentaire du Tribunal fédéral, datant de 2002, rappelle indéniablement celui du Conseil fédéral en 1918, lorsqu'il justifiait l'incrimination des « publications obscènes » en raison de l'« atteinte douloureuse au sentiment de la pudeur » porté par cet « outrage à la morale publique »[31]. En tout état de cause, comme le craignent Nicolas Queloz et Federico Illànez en lien avec l'art. 198 CP (désagréments causés par la confrontation à un acte d'ordre sexuel), l'interprétation de l'art. 197 al. 2 CP et, plus particulièrement, du sentiment de décence du citoyen moyen, risque d'« aboutir à une protection exagérée de victimes trop prudes ou rigoristes »[32] si elle n'est pas faite avec suffisamment de rigueur. Selon nous, éviter ce risque nécessite aussi une interprétation rigoureuse de la pornographie elle-même, c'est-à-dire autant que possible détachée de jugements moraux (la vulgarité de l'acte, l'essentialisation du plaisir dans l'acte sexuel, etc.), et principalement fondée sur des éléments descriptifs, tel que suggéré précédemment. Dans ce même but, il conviendrait non seulement d'abandonner la construction de cette disposition en tant qu'infraction de mise en danger abstraite mais également de déterminer, dans chaque cas d'espèce, si l'autodétermination de la personne confrontée à de la pornographie est effectivement violée, ce qui ne devrait pas être retenu lorsqu'il lui est possible de se soustraire aisément à la vue des représentations concernées (par exemple en s'en détournant).

Fût-il critiquable, l'art. 197 al. 2 CP n'est toutefois pas mis en cause dans le cadre du projet de révision du droit pénal sexuel débuté en 2020, contrairement à l'art. 197 al. 4 et 5 CP incriminant la pornographie dite dure. La Commission des affaires juridiques du Conseil des États (CAJ-E) propose en effet de supprimer de la catégorie de pornographie dure les représentations et objets pornographiques impliquant des actes de violence entre adultes[33], et ce précisément car cette incrimination serait encore empreinte d'une « appréciation morale indésirable »[34]. Avant d'examiner plus en détail la position de la CAJ-E, notons que l'art. 197 al. 4 et 5 illustre le mouvement continu d'affranchissement du droit pénal sexuel de la morale, ces deux alinéas faisant déjà l'objet d'une modification en 2013 dans ce sens. Alors que la notion de pornographie dure incluait initialement les actes à caractère sexuel impliquant des excréments humains, l'urolagnie et la coprophilie sont rétrogradés dans la pornographie douce, au motif que « seuls [doivent être] punissables les comportements préjudiciables à la société, et non les objets ou représentations contraires à la conception courante de la morale [...] »[35].

Seule la pornographie impliquant des enfants, des animaux et des actes de violence est maintenue sous le coup d'une interdiction absolue, étant supposé qu'elle favoriserait un passage à l'acte des consommateur·trice·s, soit une imitation des pratiques représentées[36]. Le Tribunal fédéral parle de l'effet « abrutissant » ou « corrupteur » de la pornographie impliquant des représentations de la violence (« die abstumpfende [korrumpierende] Wirkung von Gewaltdarstellungen »[37]). Cet effet manquant toutefois d'une vérification scientifique, une partie de la doctrine suspecte que cette incrimination découle d'un raisonnement moraliste incompatible avec la logique du droit pénal sexuel[38]. Ces auteur·e·s s'interrogent sur la légitimité d'une norme pénale visant à empêcher des adultes consentant·e·s d'imiter des pratiques visées par l'art. 197 al. 4 et 5 CP, à l'image du sadomasochisme impliquant des lésions corporelles simples[39]. Par exemple, Alessandra Cambi Favre-Bulle déclare sans détour que « sous prétexte de protéger les adultes d'effets corrupteurs supposés, le législateur a réintroduit le but de sauvegarde de la morale publique que la révision était censée avoir abandonnée au profit de notions plus objectives »[40]. Et force est d'admettre qu'il est difficile de rationaliser, en dehors du registre d'une certaine morale sexuelle, la prohibition absolue de la consommation de représentations de pratiques sadomasochistes consenties[41].

Dans son projet de loi, la CAJ-E critique plus spécifiquement que le seuil de violence requis pour la réalisation de l'infraction de pornographie impliquant des actes de violence soit peu élevé, en tous les cas sensiblement plus bas que pour l'art. 135 CP incriminant les représentations de la violence hors contexte sexuel[42]. Alors que les actes visés par cette dernière disposition doivent être cruels et porter gravement atteinte à la dignité humaine, la notion de violence à l'art. 197 al. 4 et 5 CP est interprétée sans égard à de telles exigences. La jurisprudence fédérale précise même que la typicité de cette infraction doit s'évaluer en fonction du caractère « dégradant » de la violence plutôt que de sa gravité[43], choisissant ici un critère difficilement objectivable. Plus encore, des actes de violence sexuelle peuvent être considérés dégradants et donc typiques de l'art. 197 al. 4 et 5 CP, quand bien même ils ne seraient pas constitutifs de pornographie douce. Selon le Tribunal fédéral, plus la violence est prononcée, moins les exigences relatives au caractère pornographique du contexte en question doivent être élevées. Cette interprétation est confirmée dans un arrêt de 2019 relatif à la détention de vidéos représentant des actes de spanking (fessées, en l'occurrence excédant des voies de fait) sans révélation de parties génitales à l'écran, jugée constitutive de l'art. 197 al. 5 CP[44].

En l'état, l'art. 197 al. 4 et 5 CP incriminant la pornographie dure trouve donc application en présence de représentations d'actes de caractère sexuels qui, s'ils étaient dépourvus de violence, ne seraient pas même considérés pornographiques ; en outre, le critère de référence pour évaluer la violence est celui de son caractère dégradant plutôt que de son intensité, de sorte que des lésions corporelles simples - auxquelles il est possible de consentir dans d'autres activités de la vie humaine - peuvent remplir l'élément constitutif de la violence au sens de ces dispositions. C'est pour ces raisons que la CAJ-E conclut à l'aspect moralisateur de cette incrimination et préconise de supprimer les actes de violence de la classification de pornographie dure[45].

Là où cet aveu de la dimension morale de l'art. 197 al. 4 et 5 CP est intéressant, c'est qu'il est propre à la CAJ-E, alors que le Tribunal fédéral se réfère plutôt à la dignité humaine dans son analyse de cette disposition et, plus spécifiquement, du caractère dégradant des actes considérés[46]. Une partie de la doctrine estime aussi que cette norme protège la dignité humaine et non la morale, de sorte que la répression serait en phase avec la logique du droit pénal sexuel[47]. Ainsi peut-on concrètement observer une commutation des notions de morale et de dignité humaine dans des discours sur un sujet pourtant identique et poursuivant un même objectif de légitimation de la répression pénale de représentations de pratiques sexuelles violentes. Ce constat pourrait alors donner raison aux auteur·e·s considérant que la dignité humaine constitue le « masque »[48] revêtu par la morale pour se faire accepter par celles et ceux qui la rejettent comme justification de la répression pénale depuis la fin du siècle dernier[49]. Selon elles et eux, le terme dignité humaine serait instrumentalisé aux fins de légitimer un encadrement pénal de la sexualité dicté par une morale sexuelle puritaine, voire religieuse. À cet égard, certaines réponses à la procédure de consultation relative au projet de révision du droit pénal sexuel sont éloquentes. Pour exemple, le groupe conservateur évangéliste Zukunft considère la modification projetée de l'art. 197 al. 4 et 5 CP incompatible avec la lutte contre les violences sexuelles et contraire à la dignité humaine[50].

Mais encore faudrait-il savoir à qui appartient ce bien juridique protégé. Anna Coninx et Nora Scheidegger s'interrogent avant nous : s'agit-il de la dignité des acteur·trice·s pornographiques ; celle des consommateur·trice·s[51] ? D'une part, il pourrait être dit qu'aussi longtemps que les scènes pornographiques performées et consommées le sont de manière consentie, ni la dignité des acteur·trice·s, ni celle des consommateur·trice·s ne peut être mise en péril. On touche ici à un point sensible de ces logiques prohibitionnistes, à savoir qu'elles ignorent le consentement en matière de sexualité[52]. Peu importe que les personnes directement concernées considèrent leurs choix sexuels comme dignes, puisque l'État en a déjà décidé autrement pour elle. Non seulement l'individu n'est plus en mesure de se déterminer sexuellement, mais sa dignité ne lui appartient plus. Dans ce cas, la dignité n'est donc pas l'attribut de la personne humaine mais de l'humanité[53] ; une dignité générique, qui pourrait être opposée à l'individu lui-même car la sexualité violente doit être jugée, per se, indigne ou immorale, indépendamment de ce qu'en pensent les personnes concernées. Ainsi appréhendée, la dignité humaine apparaît comme une « valeur » imposée par l'État pour protéger le sentiment de décence d'un collectif abstrait, l'humanité , dont on peut se demander si elle est une traduction du « citoyen moyen », douteusement présenté comme le reflet d'une majorité.

D'autre part, il pourrait aussi être défendu qu'il est question de la dignité des personnes concernées, dont le consentement est, plutôt que simplement ignoré, considéré de facto comme vicié. Cette conception reposerait sur la conviction qu'aucune actrice - car c'est généralement de femmes dont il est question dans ces discours - de pornographie (violente) n'exerce volontairement cette activité, dès lors contraire à la dignité humaine pour cette raison[54]. Il s'agit de la position de mouvements féministes radicaux, notamment représentés par la juriste Catharine MacKinnon, qui se prononce, dès le début des années 1980, pour la criminalisation de la pornographie en raison de son rôle prétendu dans la consolidation des rapports de domination des femmes (dont le consentement à participer à ou visionner ces représentations pornographiques serait un signe de leur aliénation par le patriarcat)[55]. En opposition à cette conception qui méconnaît non seulement la diversité des représentations sexuelles dans l'industrie pornographique mais, surtout, la capacité de décision des femmes, des franges féministes pro-sexe défendent alors la «transformative and empowering capacity »[56] de certaines formes de pornographie pour les femmes et les minorités sexuelles[57].

De manière intéressante, ce débat féministe («Sex Wars »[58]) s'articule en des termes similaires autour du travail du sexe, lequel fait également l'objet de discours prohibitionnistes fondés sur la dignité humaine, alors qu'ils l'étaient autrefois sur la morale. En Suisse, il s'avère que le durcissement de la réglementation pénale du travail du sexe a effectivement été demandé à plusieurs reprises ces trois dernières années par des parlementaires et des ONG, et ce notamment au nom de ces nouveaux motifs. L'analyse qui suit permet non seulement d'asseoir le constat de la substitution de la notion de morale par celle de dignité humaine, mais aussi de prolonger la réflexion autour des conceptions diverses de la dignité humaine, tantôt invoquée pour justifier une interdiction du travail du sexe, tantôt pour revendiquer sa reconnaissance juridique[59]. Au cœur de ces approches opposées de la dignité humaine apparaissent alors des perceptions de l'autonomie elles aussi conflictuelles, tel qu'elles se devinaient déjà dans les débats entourant la pornographie.

IV. Quant à l'encadrement du travail du sexe par la norme pénale

Les débats (sociétaux, politiques) relatifs au traitement pénal du travail du sexe se font révélateurs de la tendance croissante à recourir tantôt à l'argument de la dignité humaine, tantôt à celui de la protection des femmes, aux fins de justifier des restrictions à la liberté sexuelle. Avant de s'y intéresser, toutefois, rappelons les contours de la législation pénale en matière de prostitution, en commençant par le point de départ qu'est l'absence d'incrimination de cette activité dans le Code pénal. En 1942 déjà, la prostitution hétérosexuelle entre adultes de plus de vingt ans est autorisée. Dans son Message à l'appui du projet de Code pénal, le Conseil fédéral ne manque cependant pas de condamner moralement la prostitution : « Que la prostitution soit un danger soit pour la santé publique, soit pour la famille, cela est indéniable. Mais contre la répression de la prostitution professionnelle, on peut objecter qu'elle est rarement l'effet de l'instinct sexuel ; elle est plutôt un résultat de la misère et il serait singulièrement injuste de s'en prendre à la prostituée en laissant ses clients impunis »[60].

Si le Code pénal de 1942 n'incrimine pas l'exercice de la prostitution en tant que tel, il réprime néanmoins, au chapitre des infractions contre les mœurs, un certain nombre de « manifestations concomitantes qui peuvent être gênantes »[61], dont le racolage et le trouble au voisinage[62]. À la fin des années 1980, le Conseil fédéral relève le manque d'efficacité de ces incriminations[63], sans pour autant les exclure du champ de la répression pénale, grâce à un dénivellement de compétence en faveur des cantons : « Même s'ils sont peu efficaces, on ne pouvait renoncer aux articles 206 et 207 CP sans simultanément autoriser expressément les cantons à édicter des dispositions en la matière ; on aurait pu y voir un silence qualifié du législateur en ce sens qu'il entendait laisser de tels actes impunis »[64]. Il est ici intéressant que le gouvernement ne justifie pas la nécessité de punir de tels actes dont la répression s'est pourtant avérée inefficace, ce qui traduit un refus de cautionner - et, en cela, d'admettre comme moralement acceptables - certaines manifestations visibles de la prostitution.

De là naît l'actuel art. 199 CP (exercice illicite de la prostitution), consécration d'un régime juridique « réglementariste »[65] du travail du sexe, en tant qu'il permet aux cantons d'édicter des dispositions réglementant les lieux, heures et modes de l'exercice de la prostitution, et dont l'irrespect est sanctionné de l'amende. Sans donner un aperçu des réglementations cantonales et communales très disparates, notons que certaines s'appuient sur des justifications ouvertement morales. Par exemple, le Conseil-exécutif au Grand Conseil bernois ne se cache guère de vouloir protéger la morale en prévoyant, dans la loi cantonale sur l'exercice de la prostitution, des limitations à la prostitution de rue, au double motif que celle-ci est « la forme de prostitution la plus exposée à la vue » et « celle qui engendre le plus de manifestations secondaires fâcheuses - tapage, […] ou encore nuisances d'ordre moral »[66]. Aussi cette réglementation est-elle considérée nécessaire « afin de garantir le respect de l'ordre et de la tranquillité publics ainsi que les bonnes mœurs »[67], ces dernières faisant une apparition assumée dans la politique criminelle limitant la liberté sexuelle. Dans la même veine, la loi genevoise sur la prostitution prévoit la possibilité d'interdire son exercice sur le domaine public aux moments ou dans les endroits où il est notamment de nature à « blesser la décence »[68].

Au-delà de sa justification en référence aux mœurs et à la décence, ce régime juridique se voit légitimé par la caractéristique propre à la prostitution de rue qu'est sa publicité. Le raisonnement apparaît identique à celui sous-tendant l'art. 197 al. 2 CP, lequel sanctionne quiconque montre publiquement de la pornographie sans y avoir été invité·e. L'impératif posé par ces dispositions légales semble en effet le même : cacher certaines représentations de la sexualité, comme si « l'épuration des images pornographiques » et du travail du sexe dans l'espace public, aurait le pouvoir de « rendr[e] la société vertueuse »[69]. Là encore, ceci participe de l'invisibilisation de certaines formes d'expression sexuelle, et, en creux, de la valorisation d'une certaine norme sexuelle. Toujours est-il que l'injonction législative d'invisibilisation du travail du sexe ne traduit pas uniquement une simple défiance à l'égard de cette activité, mais doit aussi se comprendre au regard d'une tendance plus générale à encadrer pénalement les manifestations publiques de la sexualité[70], voire de la nudité[71].

Au terme d'un tour d'horizon de la législation régulant le travail du sexe dans les cantons, Géraldine Bugnon, Milena Chimienti et Laure Chiquet observent, en 2009 déjà, « un retour ou, en tous les cas, une accentuation des enjeux moraux autour de la prostitution »[72]. Suivant ce mouvement, l'ONG Frauenzentrale Zürich, Centre de liaison des associations féminines zurichoises, initie, en juin 2018, une campagne visant à interdire l'achat de services sexuels, avec un argumentaire résumé en trois affirmations : « La prostitution est une atteinte à la dignité humaine ; la prostitution rend impossible l'égalité des droits ; la prostitution est toujours synonyme de violence envers les femmes »[73]. Une contre-campagne est lancée par plusieurs associations, principalement de travailleur·euse·s du sexe et féministes. Le collectif SexArbeit ist Arbeit appelle au respect du droit à l'autodétermination et de la dignité des travailleur·euse·s du sexe, en dénonçant les risques associés à une législation qui pousserait ces professionnel·le·s dans la clandestinité et aggraverait par là même leur vulnérabilité juridique et sociale[74] - effets vérifiés et documentés dans les pays incriminant l'achat de services sexuels, à l'instar de la France ou de la Suède[75].

Le débat est relancé deux ans plus tard, lorsqu'une motion pour la pénalisation des client·e·s est présentée au Parlement par une conseillère nationale du Parti évangélique. Intitulée Les êtres humains ne sont pas des choses. Interdire l'achat de services sexuels en Suisse selon l'exemple nordique, la motion charge le Conseil fédéral de modifier le Code pénal afin d'incriminer l'achat de services sexuels, au motif que la prostitution « viole la dignité humaine et l'égalité entre homme et femme », ajoutant que cette incrimination limiterait la traite d'êtres humains[76]. Relevons que, si la morale est absente des trois plaidoyers précités, la dignité humaine, elle, y est brandie comme argument, et ce à des fins diamétralement opposées. Face à la récurrence de la notion, il convient alors de renouveler cette question : de quelle dignité parle-t-on ici ? Pour ce qui est de la contre-campagne SexArbeit ist Arbeit, référence est manifestement faite à la dignité de la personne humaine, en l'occurrence des travailleur·euse·s du sexe qui revendiquent leur liberté d'exercer leur activité, précisément au nom de leur dignité[77]. Sous cet angle, la violation de la dignité humaine résiderait dans la négation de l'autodétermination des travailleur·euse·s du sexe. S'agissant de la campagne et de la motion parlementaire visant à durcir l'encadrement pénal du travail du sexe, deux lectures peuvent en être faites, dans la lignée de nos constats relatifs à l'interdiction de la pornographie violente. D'une part, il peut y être vu un recours à une dignité générique, sous-tendu par la conviction du caractère inhéremment indigne ou immoral du sexe tarifé. Une telle approche constituerait par conséquent une illustration supplémentaire de la substitution des arguments de la dignité humaine et de la morale. Cela étant, ces discours peuvent aussi se référer, d'autre part, à la dignité des personnes concernées, en partant du principe que nul·le ne peut exercer volontairement le travail du sexe, considéré indigne pour cette raison. Dans ce dernier cas, une interdiction de nature pénale sur la base de la dignité humaine serait a priori envisageable. L'enjeu réside toutefois dans le degré d'autonomie reconnu à celles et ceux qui exercent le travail du sexe.

Selon Teresa Harrer, ces différentes postures traduisent en effet des compréhensions diverses de l'autonomie ou de la liberté personnelle. Pour la juriste allemande, la divergence résiderait essentiellement dans le fait que les discours prohibitifs relatifs au travail du sexe reposent sur une conception kantienne de l'autonomie, comprise comme la capacité de s'autodéterminer en fonction de règles de morale objectivement justes[78]. Ainsi la référence à la morale réapparaît-elle dans ce raisonnement construit à la fois sur l'idée de l'existence d'une sexualité objectivement juste et sur celle de la détermination de l'autonomie personnelle en fonction de cette norme prétendument objective : « nur das soll Würde erzeugen und demnach Anerkennung verdienen, was vernünftigen und moralischen Prinzipien folgt »[79].

Un autre argument à l'appui de ces discours est que le travail du sexe reviendrait à aliéner sa propre liberté. Or, ici encore, nous rejoignons la juriste allemande sur le fait que, même en adhérant à cette approche, le droit pénal - en tant qu' ultima ratio - ne saurait intervenir pour paradoxalement protéger la liberté personnelle d'un individu contre sa volonté, ce d'autant moins lorsque le comportement en cause n'est pas susceptible de léser gravement ce droit fondamental[80]. Ceci s'inscrit d'ailleurs dans le droit-fil de ce que nous enseigne le principe de non-nuisance.

En tout état de cause, il importe de faire preuve de prudence face à toute forme d'essentialisation ou idéologie qui occulterait la multiplicité d'expériences des travailleur·euse·s du sexe, expériences qui peuvent être consenties, voulues, voire revendiquées. Les discours prohibitionnistes tendent à produire ou renforcer une dichotomie entre, d'une part, la « bonne prostituée » - celle qui a été contrainte de vendre des services sexuels - et, d'autre part, « la mauvaise prostituée » - celle qui renonce à sa propre dignité en exerçant volontairement un métier qui y est forcément contraire[81]. La distinction est du reste similaire à celle précédemment observée entre « bonne » et « mauvaise » sexualité, la première devant être privilégiée au titre d'une normalité sexuelle, à savoir, dans les mots de Patrick Mistretta, une sexualité « conditionnée à l'amour, mais certainement pas au plaisir et encore moins à l'argent »[82].

Il ne s'agit pas de nier que le travail du sexe peut être contraint, subi, ni de méconnaître la réalité de la traite d'êtres humains, ou plus généralement de la vulnérabilité juridique et sociale des travailleur·euse·s du sexe. Il convient ainsi de recourir au dispositif pénal existant pour réprimer des abus effectifs, notamment au moyen des dispositions sur l'encouragement à la prostitution (art. 195 CP), la traite (art. 182 CP), et les atteintes à l'intégrité corporelle. Mais si toute forme d'exploitation et de violence doit certes être combattue, la tendance à justifier des restrictions à l'exercice du travail du sexe en l'essentialisant en tant que pratique intrinsèquement indigne et préjudiciable aux femmes, ou encore en l'appréhendant exclusivement à travers le prisme de la traite, brouille dangereusement la distinction entre la liberté sexuelle et les usages abusifs qui en sont faits.

Dans une étude de 2015 sur la prostitution en Suisse, Lorenz Biberstein et Martin Killias notent que les discours « à orientation idéologique », mettant « l'indignation morale au premier plan » et amalgamant le travail du sexe avec la prostitution forcée et la traite, ont pour risque de faire obstacle à la prise en charge adéquate de situations contraires aux droits humains[83]. La même année, le Conseil fédéral souligne dans un rapport que « [s]ouvent, les questions morales relatives à la dignité de la femme et les aspects de la lutte contre la criminalité s'entremêlent », et met en garde contre le fait que « certaines études sont teintées d'idéologie, si bien que leurs résultats doivent être d'emblée appréciés avec une grande prudence »[84].

Pour des raisons similaires, le gouvernement recommande, en juin 2020, de rejeter la motion parlementaire sur la pénalisation de l'achat de services sexuels, dans la mesure où « [i]nscrire une interdiction de la prostitution dans le droit pénal équivaut à signaler qu'elle n'est pas acceptable pour la société »[85]. Deux ans plus tard, le Conseil national suit la recommandation du Conseil fédéral en rejetant la motion. Il convient ainsi de relever une résistance à la demande d'un encadrement pénal plus strict du travail du sexe reposant sur une appréciation morale de cette activité. Dans ce même sens, notons également que la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral est revenue, dans un arrêt du 8 janvier 2021, sur une jurisprudence qualifiant le contrat de prostitution de contraire aux mœurs, pour reconnaître sa validité et, par conséquent, le droit des travailleur·euse·s du sexe à être indemnisé·e·s pour les services sexuels fournis[86]. Des prises de position qui, comme la révision projetée de l'infraction de pornographie dure, font honneur aux principes sous-tendant le droit pénal sexuel, sans pour autant garantir que la pornographie et le travail du sexe soient à l'abri de nouvelles injonctions à la répression, qu'elles soient justifiées par la morale ou la dignité de l'humanité.

V. Conclusion

Loin d'être achevée en 1992, la séparation du droit pénal sexuel et de la morale est un processus continu, constamment (re)négocié. L'interprétation jurisprudentielle de la pornographie et les discours politiques relatifs à sa répression laissent apparaître des considérations morales, traduites en une nécessité de protéger un sentiment de décence ou de pudeur, qui n'ont donc jamais cessé de justifier cette incrimination. Dans le cadre de la réforme du droit pénal sexuel entamée en 2020, la CAJ-E estime notamment que la prohibition absolue de la pornographie impliquant des actes de violence est teintée d'une appréciation morale à laquelle il conviendrait de renoncer - projet de modification qui mérite d'être salué ne serait-ce qu'en raison de l'inadéquation de l'interprétation de la violence au regard du caractère dégradant de l'acte, ce dernier pouvant être considéré typique de cette infraction quand bien même il ne serait pas constitutif de pornographie douce. Ceci montre que la morale n'est plus considérée légitime pour justifier des restrictions à la liberté sexuelle, et pourrait ainsi expliquer que la notion de dignité humaine lui soit parfois préférée pour justifier l'interdiction de ces représentations de la sexualité. Cette commutation des notions de morale et de dignité humaine apparaît avec tout autant de clarté dans les débats concernant la réglementation pénale du travail du sexe, relancés par des groupes de la société civile et partis politiques dès 2018. Il en découle que la dignité humaine est brandie comme argument dans des discours émanant de groupes opposés, confirmant en cela l'ambiguïté de cette notion qui, comme la morale, est appréhendée de manière fondamentalement différente, parfois contradictoire, par les acteur·trice·s qui la mobilisent.

Quoi qu'il en soit, qu'il s'agisse de la pornographie ou du travail du sexe, le recours au « mot d'ordre » de la morale ou de la dignité humaine comme fondement de leur incrimination s'accommode mal de la logique consensualiste et conséquentialiste caractérisant le droit pénal sexuel. La perspective de politique juridique proposée dans la présente contribution insiste, d'une part, sur l'importance d'une objectivation de la définition de la pornographie douce, ce par le recours à des critères descriptifs et factuels d'interprétation (à l'inverse d'une appréciation morale de la sexualité basée sur la prétendue vulgarité de l'acte ou l'essentialisation du plaisir sexuel). En outre, la construction de l'art. 197 al. 1 et 2 CP (mise à disposition de pornographie à des mineur·e·s ; respectivement à des adultes sans y avoir été invité·e) en tant qu'infractions de mise en danger abstraite devrait selon nous être repensée pour conditionner la punissabilité à la survenance d'un préjudice concret, tout en tenant compte de la capacité d'autodétermination de la personne exposée à ces représentations. D'autre part, il est important que la politique criminelle ne cède pas aux discours prohibitifs et paternalistes revenant à essentialiser le travail du sexe en tant que pratique inhéremment indigne et violente, tout en niant la capacité de consentement et l'autonomie des travailleur·euse·s du sexe. Le droit pénal, instrument de dernier recours de l'arsenal législatif, ne devrait pas être un moyen d'opposer à un individu, contre sa volonté, sa propre dignité, pas plus qu'un outil de protection d'une dignité générique indépendamment de la réalisation de préjudices concrets.

En somme, si le droit pénal sexuel, en tant que production sociale, se fait inéluctablement le reflet de certaines valeurs en matière de sexualité[87], la formalisation de ces dernières dans le droit ne devrait pas se faire en référence à des arguments difficilement objectivables ou s'accommodant mal d'une étude empirique[88], en particulier lorsqu'ils sont mobilisés sans égard au consentement des personnes concernées et à l'identification d'un dommage à autrui. Il en va du respect des fondements du droit pénal sexuel, autant qu'il s'agit d'un rempart contre une réglementation des différentes expressions de la sexualité sur la base de considérations par trop familières à celles qui gouvernaient autrefois le droit pénal des mœurs.



[1] Friedrich Nietzsche, Jenseits von Gut und Böse, Leipzig 1923 (1886), p. 83.

[2] Jean Carbonnier, Flexible droit, 10ème éd., Paris 2001, p. 93.

[3] Message du 26 juin 1985 concernant la modification du code pénal et du code pénal militaire (FF 1985 1021), p. 1079.

[4] Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP ; RS 311.0).

[5] Michel Foucault, Histoire de la sexualité I, Paris 1976, p. 11.

[9] Cf . Camille Montavon, De la criminalisation de la « débauche contre nature » à la répression de la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle : l'homosexualité dans le droit pénal suisse du XIX e siècle à nos jours, RPS 2022, p. 27 s.

[10] Laurence Leturmy, La répression de la délinquance sexuelle, in : Massé/Jean/Giudiccelli (édit.), Un droit pénal postmoderne ?, Paris 2009, p. 125.

[12] John Stuart Mill, De la liberté (1859), Paris 1990, p. 39.

[13] Daniel Borrillo, Liberté érotique et « exception sexuelle », in : Borrillo/Lochak (édit.), La liberté sexuelle, Paris 2005, p. 63.

[14] Anna Carline, Criminal justice, extreme pornography and prostitution, Sexualities 2011, p. 312.

[15] Message concernant la modification du code pénal et du code pénal militaire (n. 3), p. 1105. Sur la justification morale de l'incrimination de la pornographie avant 1992 : Bernhard Isenring / Martin Kessler, in : Niggli/Wiprächtiger (édit.), Basler Kommentar, Strafrecht, 4ème éd., Bâle 2019, art. 197 N 5 (cit. BSK CP-Editeur·trice)

[17] Ursula Cassani, Les représentations illicites du sexe et de la violence, RPS 1993, p. 430.

[19] ATF 133 I 136 consid. 5.3.1.

[20] Stefan Heimgartner, Weiche Pornographie im Internet, PJA 2005, p. 1485.

[21] ATF 133 I 136 consid. 5.3.2.

[22] Denis Saint-Amand, Étudier la pornographie, COnTEXTES 2014, p. 2.

[23] Dans le même sens : Heimgartner (n. 20), p. 1485.

[24] Heimgartner (n. 20), p. 1487.

[25] Jean-Christophe Calmes, La pornographie et les représentations de la violence en droit pénal, étude des articles 197 et 135 du Code pénal suisse, Bâle/Francfort-sur-le-Main 1997, p. 171 ; Heimgartner (n. 20), p. 1485 ; Ludovic-Adrien Tirelli, La répression pénale des consommateurs de pédopornographie à l'heure de l'Internet : étude de droit comparé et de droit suisse, Lausanne/Genève 2008, p. 273.

[26] Cassani (n. 17), p. 433.

[27] Jean Christophe Barbato, Pornographie et droit international européen des droits de l'homme, in : Cazala/Lecuyer/Taxil (édit.), Sexualité et droit international des droits de l'homme, Paris 2018, p. 330.

[28] Alessandra Cambi Favre-Bulle, in : Macaluso/Moreillon/Queloz (édit.), Commentaire romand, Code pénal II, Bâle 2017, art. 197 N 34 (cit. CR CP II-Cambi Favre-Bulle).

[29] ATF 128 IV 260 consid. 2.1.

[30] ATF 128 IV 260 consid. 2.1.

[31] Message du 23 juillet 1918 du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale à l'appui d'un projet de code pénal suisse (FF 1918 I), p. 49 s.

[32] Nicolas Queloz / Federico Illànez, in : Macaluso/Moreillon/Queloz (édit.), Commentaire romand, Code pénal II, Bâle 2017, art. 198 N 3.

[33] Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil des États du 17 février 2022 (FF 2022 687 ; Projet 3 : loi fédérale portant révision du droit pénal en matière sexuelle), p. 3.

[35] Message du 4 juillet 2012 concernant l'approbation de la convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (convention de Lanzarote) et sa mise en œuvre (modification du code pénal) (FF 2012 7051), p. 7098.

[36] ATF 128 IV 25 consid. 3 ; ATF 131 IV 16 consid. 1.2.

[37] Arrêt du Tribunal fédéral 6B_149/2019 du 11 décembre 2019 c. 1.3.2.

[38] P. ex. CR CP II-Cambi Favre-Bulle, art. 197 N 48 ; Anna Coninx / Nora Scheidegger, Gewaltpornografie und moderne Sexualmoral, RJB 2022, p. 347.

[39] La notion de représentations de la violence sexuelle ne couvre les représentations d'actes sadomasochistes consentis que dans l'hypothèse de la commission simultanée de lésions corporelles. Message du 10 mai 2000 concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal militaire (Infractions contre l'intégrité sexuelle) (FF 2000 2769), p. 2805.

[40] CR CP II-Cambi Favre-Bulle, art. 197 N 48.

[41] Kelly Egan, Morality-Based Legislation Is Alive and Well: Why the Law Permits Consent to Body Modification but Not Sadomasochistic Sex, Albany Law Review 2007, p. 1642.

[43] Arrêt du Tribunal fédéral 6B_875/2008 du 12 novembre 2008 c. 2.

[44] Arrêt du Tribunal fédéral 6B_149/2019 du 11 décembre 2019.

[46] Arrêt du Tribunal fédéral 6B_149/2019 du 11 décembre 2019 c. 1.3.2.

[47] Calmes (n. 25), p. 173 s. ; Stefan Trechsel / Carlo Bertossa, in : Trechsel/Pieth (édit.), Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, 4ème éd., Zurich/St. Gall 2021, art. 197 N 2.

[48] Salomé Papillon, La dignité, nouveau masque de la moralité en droit pénal, Cahiers Jean Moulin 2018, p. 1.

[49] En France, not. Borrillo (n. 13), p. 38 s. ; Danièle Lochak, La liberté sexuelle, une liberté (pas) comme les autres ?, in : Borrillo/Lochak (édit.), La liberté sexuelle, Paris 2005, p. 1 s. ; Sarah-Marie Maffesoli, Le traitement juridique de la prostitution, Sociétés 2008, p. 44.

[50] Réponse à la consultation du 4 Mai 2021 de la fondation Futur CH (zum Bundesgesetz über eine Revision des Sexualstrafrechts).

[51] Coninx / Scheidegger (n. 38), p. 349 s.

[52] Lochak (n. 49), p. 15 ; Papillon, (n. 48), p. 5 ; Coninx / Scheidegger (n. 38), p. 350 s.

[53] Sur ces différents types de dignité : Maffesoli (n. 49), p. 41 s.

[54] Teresa Harrer, Einführung einer Strafbarkeit von Prostitution?, KriPoZ 2021, p. 290.

[55] Catharine MacKinnon, Pornography, Civil Rights and Speech, Harvard Civil Rights-Civil Liberties Law Review 1985, p. 1 s. ; Catharine MacKinnon / Andrea Dworkin, In Harm's Way, Cambridge/Londres 1997.

[56] Ana Valero Heredia, Feminism and Pornography, The Age of Human Rights Journal 2022, p. 228.

[57] Wendy McElroy, XXX: A Woman's Right to Pornography, New York 1995 ; Kate Sutherland, Work, sex and sex-work, Osgoode Hall Law Journal 2004, p. 42 s.

[58] Alison Phipps, Sex Wars Revisited: A Rhetorical Economy of Sex Industry Opposition, Journal of International Women's Studies 2017, p. 306 s.

[59] Harrer (n. 54), p. 290.

[60] Message 1918 (n. 31), p. 48.

[62] BSK CP-Isenring, art. 190 N 2.

[65] Maffesoli (n. 49), p. 35 s.

[66] Direction de la police et des affaires militaires, Rapport présenté par le Conseil-exécutif au Grand Conseil concernant le projet de loi sur l'exercice de la prostitution (LEP), s.d., p. 16 (cit. Projet LEP). Cf. art. 4 Loi sur l'exercice de la prostitution du 7 juin 2012 du canton de Berne (LEP ; RSB 935.90) interdisant la prostitution de rue dans les zones d'habitation, aux arrêts de transports publics, ainsi qu'aux abords des lieux de culte et des écoles notamment.

[67] Projet LEP (n. 66), p. 16.

[68] Art. 7 Loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 du canton de Genève (LProst ; rsGE I 2 49).

[69] Daniel Borrillo, La pornographie au-delà de la représentation, in : Réseau européen de recherches en droit de l'Homme, Pornographie et droit, Limoges 2020, p. 261.

[70] Cf. en particulier l'art. 198 CP (désagréments causés par la confrontation à un acte d'ordre sexuel).

[71] Cf. notamment ATF 138 IV 13, dans lequel le Tribunal fédéral confirme la condamnation d'un homme ayant randonné nu dans le canton d'Appenzell Rhodes-Extérieures sur la base d'une disposition de droit cantonal incriminant les atteintes graves aux mœurs et à la décence.

[72] Géraldine Bugnon / Milena Chimienti / Laure Chiquet, Marché du sexe en Suisse - État des connaissances, best practices et recommandations, Volet 2, Sociograph 2009, p. 86 et les références citées.

[73] Frauenzentrale Zürich, Für eine Schweiz ohne Freier, Stopp Prostitution (nous traduisons).

[75] Médecins du Monde, Enquête sur l'impact de la loi du 13 avril 2016 contre le "système prostitutionnel", 12 avril 2018 ; Susanne Dodillet / Petra Östergren, The Swedish Sex Purchase Act, Conference paper presented at the International Workshop: Decriminalizing Prostitution and Beyond, La Haye, 2011.

[76] Motion du 25 septembre 2020 (20.4216) concernant Menschen sind keine Ware. Nordisches Modell für die Schweiz (Sexkaufverbot).

[77] En ce sens, cf. aussi ProCoRe, Expertinnenbericht - Covid-19 Massnahmen und Sexarbeit in der Schweiz, 15 mars 2021.

[78] Harrer (n. 54), p. 291.

[79] Harrer (n. 54), p. 291.

[80] Harrer (n. 54), p. 292, la stigmatisation ou un risque de dommages physiques et psychiques ne suffisant pas.

[81] Bugnon / Chimienti / Chiquet (n. 72), p. 86.

[82] Patrick Mistretta, Les bonnes mœurs sexuelles : un concept mal ressuscité en droit pénal, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé 2017, p. 277.

[83] Lorenz Biberstein / Martin Killias, Erotikbetriebe als Einfallstor für Menschenhandel?, Lenzbourg 2015, p. 87.

[84] Rapport du Conseil fédéral du 5 juin 2015 (Prostitution et traite d'êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle), p. 42.

[85] Motion 20.4216 (n. 76).

[86] ATF 147 IV 73 (commenté par Sandra Hotz / Meret Lüdi, Vertraglich vereinbarter Sex gegen Entgelt ist nicht sittenwidrig, sui generis 2021, p. 283, que nous rejoignons sur le fait que « [d]ie Gültigkeit eines selbstbestimmten Vertrages zu Sex ist aber nicht nur Ausdruck von Selbstbestimmung und ein Abschied von überholten Sittlichkeitsvorstellungen, sondern ein wirksames Schutzinstrument » [p. 291]).

[87] Lochak (n. 46), p. 17 ; Mireille Delmas-Marty, Vers une communauté de valeurs ?, Paris 2011, p. 20 ; Yves Cartuyvels, Sexe, normes et déviance, in : Sexe et Normes, Actes de colloque, Bruxelles 2012, p. 281.

[88] Juan Jiménez-Salcedo / Thomas Hochmann, La loi du désir ? Interférences, fusions et confusions entre droit et sexualité, Ambigua 2014, p. 12.