Tests urinaires dans le traitement médical de la dépendance aux opioïdes : Fin d'une pratique anachronique ?

Valérie Junod / Carole-Anne Baud / Barbara Broers / Caroline Schmitt-Koopmann / Olivier Simon *

Dans le cadre des traitements de la dépendance à l'héroïne, des tests urinaires réguliers sont imposés dans certains cantons, même s'ils ne sont pas recommandés par la société de discipline. Dans notre contribution nous examinons la justification médicale et sociale de ces tests et leur fondement éthique. Sous l'angle juridique, nous sommes d'avis qu'ils constituent une atteinte à la sphère privée et à la liberté personnelle de la personne soignée. Pareille ingérence lorsqu'imposée par l'Etat nécessite une base légale qui, aujourd'hui, à notre avis, fait défaut. Lorsque le médecin ordonne le test, il doit se fonder sur le consentement libre et éclairé de son mandant, condition rarement remplie. Nous recommandons que ces tests soient limités aux seules situations où la personne en traitement en fait la demande.

Citation : Valérie Junod / Carole-Anne Baud / Barbara Broers / Caroline Schmitt-Koopmann / Olivier Simon, Tests urinaires dans le traitement médical de la dépendance aux opioïdes : Fin d'une pratique anachronique ?, sui generis 2021, S. 331

URL : sui-generis.ch/197

DOI : https://doi.org/10.21257/sg.197

* Prof. Valérie Junod, Professeure de droit aux Universités de Genève et de Lausanne, Valerie.Junod@unil.ch. Carole-Anne Baud, Docteure en droit, Chercheuse FNS à l’Université de Lausanne, caroleanne.baud@unil.ch. Prof. Barbara Broers, Professeure en médecine de l’addic- tion aux Hôpitaux Universitaires de Genève. Barbara.Broers@unige.ch. Caroline Schmitt-Koopmann, Master en sciences pharmaceutiques, candidate au doctorat à l’Université de Lausanne, Caroline.Schmitt@chuv.ch. Olivier Simon, Maître d’enseignement et de recherche en médecine de l’addiction au Centre hospitalier universitaire vaudois, Olivier.Simon@chuv.ch. Cette recherche a fait l’objet d’un financement du FNS (projet 100011_182477) ; pour plus de détails : wp.unil.ch/medi- caments-sous-controle. Nous remercions vivement les Médecins canto- naux et les Pharmaciens cantonaux qui ont répondu à nos nombreuses questions, ainsi que tous les professionnels de la santé mentionnés à la n. 18 pour leur disponibilité et les renseignements aimablement fournis.


I. Introduction

En Suisse, quelques seize mille personnes[1] présentant un syndrome de dépendance aux opioïdes[2] (par ex. : héroïne) sont traitées, en cabinet privé ou dans des centres ambulatoires, avec des produits (improprement dits)[3] « de substitution » tels que la méthadone ou la buprénorphine[4]. Ces traitements, appelés traitements agonistes opioïdes (TAO), permettent[5] d'éviter des décès, d'améliorer la qualité de vie des personnes concernées et de diminuer les risques d'infection, les risques sociaux ou pénaux associés à la consommation de « drogues»[6].

Dans le cadre de ces traitements, des tests urinaires (TUs) sont traditionnellement effectués pour confirmer si les personnes suivies ont consommé de l'héroïne ou d'autres substances[7]. Ces tests sont controversés, tant d'un point de vue médical qu'éthique[8]. Sous l'angle juridique, ils portent à notre avis une atteinte à la liberté individuelle et à la sphère privée, droits garantis par la Constitution[9] (à ce sujet chapitre VI) ; l'atteinte est encore plus sévère si le prélèvement d'urine a lieu sous contrôle visuel du soignant.

Cet article commence par examiner la réglementation proposant ou imposant des TUs dans le cadre des TAO. L'accent est mis sur la législation et pratique des cantons romands[10]. Sous l'angle médical, nous nous interrogeons ensuite sur les mérites et les inconvénients des TUs, selon la phase du traitement, à savoir au début du TAO ou au cours de celui-ci. Nous examinons au chapitre V. les difficultés éthiques soulevées par ces tests. Le chapitre VI. porte sur leur conformité juridique. Finalement, l'article formule des recommandations pour l'avenir. En particulier, nous énonçons les thèses suivantes : le recours à un TU devrait toujours se fonder sur un consentement réellement libre du patient ; le test peut être utilisé comme outil diagnostic en début de traitement si le médecin l'estime nécessaire ; il ne devrait être utilisé comme outil motivationnel qu'avec prudence.

Nous avons en revanche renoncé à effectuer ici une analyse croisée internationale des pratiques, en raison de l'extrême variabilité dans la mise en œuvre des TAOs à l'étranger[11]. De plus, les informations disponibles sur les TUs requis ou conduits dans ce cadre à l'étranger sont très maigres. Notre recherche n'a pas permis de trouver d'article juridique à ce sujet[12].

II. Les TUs dans la réglementation afférente aux TAO en Romandie

Les traitements de l'addiction, contrairement aux autres traitements médicaux, font l'objet d'une réglementation, d'abord au niveau fédéral (dans la LStup[13] et l'OAStup), puis dans les dispositions d'exécution cantonales et finalement dans des directives d'application émises par les services de santé cantonaux.

Le droit fédéral pose les principes et les règles fondamentales, dont le principe d'une autorisation obligatoire délivrée et renouvelable par le canton pour chaque TAO[14]. Au-delà de cette autorisation propre à un médecin et à son patient, le droit fédéral n'impose guère d'exigences quant à l'organisation subséquente du TAO. En revanche, les cantons romands ont souvent choisi d'en encadrer bien plus strictement les modalités. Les règles qu'ils imposent sont réparties dans des ordonnances précisant la LStup ainsi que dans des directives. Ces dernières n'ont, en principe, pas force de loi.

Les dispositions de la LStup et de l'OAStup en matière de TAO ne font aucune mention des TUs ; ceux-ci ne sont donc pas requis au niveau fédéral. En revanche, dans les cantons de Vaud, du Valais et de Neuchâtel, ils sont évoqués dans les directives susmentionnées. Dans les cantons du Valais, de Neuchâtel, de Fribourg et du Jura, ils sont mentionnés dans des conventions écrites conclues avec les personnes en traitement ; ces documents émis par l'autorité cantonale etcommunément appelés « contrats thérapeutiques » décrivent le cadre du traitement. Ils sont censés être signés par les professionnels de la santé et - librement - par le patient. Leur efficacité[15] et leur validité juridique sont douteuses - ce qui fait l'objet d'un autre article[16].

Les choix romands en matière de TUs sont résumés dans le tableau ci-dessous. La deuxième colonne décrit les directives cantonales, tandis que la troisième évoque les conventions. Cette représentation schématisée offre ainsi une vue d'ensemble des points communs et surtout des divergences.

On constate que, selon les cantons, le recours aux TUs est imposé par l'autorité (Valais) ou peut l'être par le médecin, à tout moment du traitement (Neuchâtel, Jura, Fribourg) ou uniquement au début de celui-ci (Genève par renvoi aux directives de la SSAM). Dans le canton de Vaud, la future directive restreint les cas où le médecin peut recourir à ces tests ; ces derniers ne peuvent être pratiqués en début de traitement que « en cas de doute clinique » ; en cours de traitement, ils ne peuvent être effectués que s'ils s'inscrivent dans un projet de traitement discuté avec le patient ; dans les deux cas, les TUs sont jugés non nécessaires si le patient annonce ses consommations.

En résumé, dans trois cantons sur six, les directives font référence directement aux TU (et encore indirectement à Genève) ; dans quatre cantons sur six, l'autorité cantonale recommande le recours aux TU dans les contrats thérapeutiques que le patient doit signer (Valais et Fribourg) ou peut signer (Jura et Neuchâtel, à la discrétion du médecin).[17]

Conscients que les directives et les conventions ne sont pas toujours suivies, respectivement conclues, nous avons procédé à une prise de contact préliminaire pour vérifier si les TUs sont bel et bien mis en œuvre en pratique. Nous avons donc consulté - par courriel ou par téléphone - des médecins pratiquant ou ayant pratiqué dans des centres cantonaux spécialisés dans les TAOs et quelques médecins installés prescripteurs de TAO[18]. De cette brève consultation, il ressort que les pratiques s'écartent fréquemment des textes cantonaux. Dans tous les cantons, des TUs sont effectués en début de traitement. En cours de traitement, de tels tests semblent de moins en moins réalisés dans les grands centres spécialisés situés dans les villes ; à Fribourg, dans le Jura, en Valais et à Neuchâtel, ils semblent

    Tableau récapitulatif des textes des cantons romands mentionnant les TUs[19]

 

Directive

Convention avec la personne en traitement proposée ou imposée par le canton 

GE 

Renvoi général aux recommandations de la Société Suisse de Médecine de l'Addiction (SSAM)[20] qui recommandent les TUs uniquement en phase d'induction du traitement 

Aucune convention 

VD 

« Au moment de l'initiation du traitement, en cas de doute clinique, une prise d'urine ou de salive peut être indiquée. Cet examen ne doit cependant pas retarder la mise en route du traitement lorsque l'indication est posée par l'évidence clinique. […] Pendant le suivi, ces prélèvements doivent s'inscrire dans une logique thérapeutiquedéfinie avec le patient. Lorsqu'un patient annonce des consommations, la prise d'urine n'est pas nécessaire, mais ce renseignement doit être consigné dans le dossier »[21] 

Aucune convention 

VS 

« Des contrôles d'urine sont pratiqués à l'improviste sur un échantillon prélevé au cabinet médical dans le but de rechercher la présence de drogues illicites. La fréquence de ces contrôles est variable selon la phase du contrat dans laquelle on se trouve »[22] 

« Des contrôles d'urine sont pratiqués à l'improvistesur un échantillon prélevé au cabinet médical dans le but de rechercher la présence de drogues illicites. La fréquence de ces contrôles est variableselon la phase du contrat dans laquelle on se trouve. Tout résultat d'analyse positif fait l'objet d'une discussionentre les partenaires du contrat pour définir les mesures à prendre. »[26] 

NE 

« Les contrôles d'urine ne sont pas une condition au traitement. Ils restent néanmoins un instrument utile pour évaluer l'évolution du traitement. Ils doivent se faire dans un esprit de collaboration et de partenariat. Leur fréquence est laissée à l'appréciation du médecin qui peut déléguer ces contrôles au pharmacien responsable de la dispensation. »[23]

« Dans le cadre de mon traitement de substitution, je m'engage librement et formellement à respecter les points suivants […] 4. à accepter un contrôle d'urine ou sanguin lorsque mon médecin traitant le demande »[27] 

FR 

Pas mentionné[24]

« Je m'engage librement et formellement à respecter ces modalités et en particulier : à accepter des contrôles d'urine ordonnés par le médecin traitant. […] Un examen d'urine refuséest considéré comme positif »[28] 

JU 

Pas mentionné[25]

« Le patient est d'autre part conscient :[…] qu'il peut lui être demandé de se soumettre à des contrôles urinaires ou salivaires. »[29] 

    plus fréquents[30], sans qu'une raison ne semble l'expliquer. A Neuchâtel et dans le Jura, ils sont notamment utilisés à la demande des patients qui souhaitent ainsi soutenir leur motivation à diminuer ou arrêter les consommations parallèles (cf. infra point IV). A l'évidence, la consultation menée ne fournit qu'un aperçu à la fiabilité restreinte ; malheureusement, sonder un échantillon représentatif de tous les centres et de tous les médecins prescripteurs aurait nécessité des moyens trop importants, tout particuliè mie de SARS-CoV-2 (Covid-19). C'est rement en période de pandé pourquoi il est prévu de mener cet approfondissement sur les deux prochaines années[31].

Le contraste relevé entre la théorie et la pratique et les différences cantonales amènent à s'interroger sur les mérites et les inconvénients de ces tests, tant en début de TAO (point III) qu'en cours de traitement (point IV).

III. Les tests urinaires en début de TAO

Le TU initial[32] est typiquement requis pour éviter de prescrire de la méthadone ou de la buprénorphine à des personnes qui ne consomment pas (ou plus) d'héroïne ou de dérivés opiacés[33]. Toutefois, le TU en lui-même ne permet pas de savoir si la personne souffre d'un syndrome de dépendance aux opioïdes, mais uniquement si elle a consommé un opioïde - prescrit ou non - dans les jours précédents[34]. Il ne permet pas non plus d'avoir une idée de la dose consommée ni de la fréquence et ne fait évidemment pas de différence quant à la forme de la consommation (injectée, avalée, sniffée), ni si celle-ci était éventuellement liée à une co-médication prescrite mais détournée (par ex. opioïde pharmaceutique prescrit par un autre médecin). Le TU ne se substitue donc en aucun cas à un diagnostic clinique. Ce diagnostic requiert une anamnèse[35]; le professionnel de la santé procédera également à un examen physique, constatera éventuellement des traces d'injection, des signes de manque ou d'intoxication aux opioïdes. Certains patients ont déjà des dossiers médicaux détaillés issus des hospitalisations ou des consultations antérieures, lesquels attestent sans doute possible de consommations antérieures.

Quelle est alors la pertinence d'ajouter un TU lorsque la rencontre entre le soignant et le patient aboutit, avec un haut degré de fiabilité, à un diagnostic de dépendance aux opioïdes ? Le danger que le test est censé écarter n'est pas clair, ce d'autant plus que le TU peut être perçu comme intrusif, alors que le risque d'une d'interruption précoce du traitement par le patient est, lui, bien documenté par la littérature (de l'ordre de 20% à plus de 65% selon les études[36]).

Les deux risques principaux pouvant être invoqués pour justifier ce TU initial seraient que la personne débuterait un TAO afin d'accéder à de la méthadone dans un but récréatif ou qu'elle entendrait détourner la méthadone prescrite pour l'offrir ou la vendre à des tiers.

Ces deux risques sont à notre avis extrêmement faibles en Suisse, compte tenu des contraintes auxquelles les patients doivent se plier en début de TAO et de la facilité d'obtention de substances de toute sorte sur le marché noir helvétique.

Ainsi, les modalités pratiques d'un TAO rendent hautement improbable un but récréatif initial. Les exigences « bureaucratiques » qui vont de pair avec un TAO n'incitent pas à commencer un usage « récréatif » de méthadone par ce biais. En effet, pendant les premières semaines ou mois de traitement, la personne en traitement est invitée à se rendre auprès du centre ou de la pharmacie, chaque jour à heure fixe, pour prendre l'opioïde prescrit (méthadone ou autre) sous contrôle visuel. De telles modalités diminuent le plaisir ordinairement associé aux consommations. Ensuite, la personne n'est autorisée à emporter les doses que progressivement, une fois achevée la période dite de stabilisation. Le temps consacré au suivi du traitement peut restreindre leurs déplacements, leurs opportunités professionnelles et même leur vie familiale. Dans certains cantons, les patients sous TAO encourent le risque de devoir rendre leur permis de conduire[37]. Enfin, ils doivent divulguer leur identité, y compris à l'autorité publique cantonale.

Par ailleurs, une personne qui voudrait débuter un usage « récréatif » d'opioïdes trouvera plus facile d'acquérir au marché noir le produit de son choix, plutôt que de tenter d'obtenir de la méthadone ou de la buprénorphine via un TAO. Hormis son coût plus élevé et son risque - en pratique assez faible[38] - de sanctions pénales, la consommation occasionnelle de substances « de rue » est moins contraignante. Par ailleurs, la méthadone est certes une substance qui provoque une dépendance physique, mais, du fait de sa longue demi-vie, elle n'est généralement pas privilégiée dans un but récréatif / non-médical. En effet, achetée sur le marché noir, ce produit est plutôt utilisé pour gérer en « auto-médication » les symptômes d'un manque d'héroïne[39]. Enfin, aucun des professionnels et autorités[40] avec lesquels nous avons discuté n'a fait état d'un TAO débuté volontairement à des fins récréatives. La littérature médicale suisse n'en fait pas état non plus.

Le deuxième risque, celui de détournement en faveur de tiers, est limité, tant que la prise du TAO se fait sous surveillance. La personne qui aurait menti sur l'existence d'une consommation d'héroïne devrait accepter de vouloir prendre régulièrement, pendant la phase initiale de stabilisation, de la méthadone ou de la buprénorphine dans le but, à plus long terme, de pouvoir approvisionner des tiers. De nouveau, il s'agit là d'un stratagème contraignant.

Un troisième objectif des TU, de nature bien distincte, résiderait dans la protection du médecin : celui-ci craindrait un procès en responsabilité s'il devait prescrire un TAO à une personne qui n'en consommerait pas[41] - ou consommerait une autre substance que - des opioïdes. Il arrive en effet que des personnes pensent à tort consommer un opioïde, alors qu'il s'agit par exemple d'une benzodiazépine. En administrant un TU au début du traitement, le médecin écarte ce risque de débuter à tort un TAO. Toutefois, ce genre d'erreurs du côté des consommateurs est très rare. En toute hypothèse, le soignant expérimenté se rend compte rapidement qu'une personne est en réalité « naïve » d'opioïde. En effet, il réalisera l'absence de symptômes de manque quand la personne se présente pour la dose initiale de son traitement[42]. Si la première dose est tout de même administrée, l'extrême somnolence qu'elle induira obligera le soignant à modifier le traitement. Il est par ailleurs souligné que la première dose du TAO est toujours basse, en deçà du seuil dangereux chez une personne naïve d'opioïdes (par ex. 20 à 30 mg pour la méthadone) ; il s'agit justement de déterminer progressivement et en toute sécurité ce dont la personne en traitement a besoin[43].

Finalement, les possibilités de falsification des TUs plaident en leur défaveur. En effet, la fiabilité du résultat peut être altérée de multiples manières, notamment en soumettant l'urine d'un tiers, en ingérant ou rajoutant dans les urines des substances faussant les résultats, en situant ou en planifiant les consommations dans ou hors de la période de détection[44]. De nombreux sites internet fournissent des conseils à cet égard[45]. Finalement, vouloir prévenir certains des risques de falsification du TU en ordonnant la prise d'urine sous contrôle visuel permanent implique une atteinte significative à la sphère privée. De nouveau, le risque est alors de décourager des personnes ayant réellement besoin d'être soutenues, avec les conséquences sérieuses pour la santé individuelle et publique que cela implique.

IV. Les tests urinaires en cours de TAO

A l'encontre des directives nationales de la Société Suisse de Médecine de l'Addiction (SSMA) ou des directives internationales de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS)[46], et comme mis en lumière par le Tableau ci-dessus, les TUs en cours de TAO demeurent requis en Valais, et recommandés dans les cantons de Neuchâtel, de Fribourg et du Jura. A ce stade, le but principal est de contrôler si la personne poursuit un usage « récréatif » (hors cadre médical) de substances opioïdes (ou autres) en parallèle de son TAO.

La raison qui sous-tend ces contrôles repose largement sur le concept traditionnel selon lequel le TAO viserait à remplacer ou substituer la drogue de rue, principalement l'héroïne, par le médicament contenant une substance analogue, la méthadone ou la buprénorphine[47]. Dans cette optique, le traitement serait réussi si la substitution est en quelque sorte complète[48]; la personne devrait devenir abstinente de toute autre substance que celle prescrite[49]. Un TU négatif attesterait le succès recherché[50]. A l'inverse, en cas de TU positif, des mesures correctives devraient alors être prises, par exemple la remise du médicament dans un cadre plus strict. Dans certains pays encore, la « correction » peut aller jusqu'à l'exclusion du programme de TAO, puisque la personne en traitement n'atteint pas l'objectif d'abstinence[51], l'exclusion devant la « motiver » à mieux y revenir. Fort heureusement, à notre connaissance, de telles pratiques n'existent plus en Suisse[52]. Au contraire, l'exclusion du TAO en raison de consommations parallèles est susceptible d'engager la responsabilité civile du médecin, même des directives ou des conventions cantonales ambigües subsistent (cf. la convention imposée par le canton du Valais)[53].

Selon la compréhension actuelle du TAO, l'abstinence - que ce soit l'abstinence d'autres substances ou, à terme, la fin du TAO lui-même - n'est plus considérée comme un but prioritaire[54]. Il est admis que les meilleurs résultats, sur le plan clinique et social, sont obtenus si la personne reste le plus longtemps possible sous traitement[55]. En effet, les arrêts de traitement, même voulus par le patient, occasionnent des rechutes qui peuvent être mortelles (overdoses) et qui découragent la reprise assidue du TAO[56].

Un second motif sous-tendant des TUs périodiques serait de déterminer, de manière indirecte, si la dose administrée de méthadone ou de buprénorphine est suffisante. Dans cette logique, un résultat positif du TU suggère une dose insuffisante et donc à augmenter, puisque le patient continue justement à consommer hors traitement médical. Les Guidelines de l'OFSP - certes anciennes - recourent d'ailleurs à cet argument[57]. Toutefois, une consommation parallèle d'opioïdes, en elle-même, ne permet pas de déterminer la dose adéquate. Une personne peut souhaiter poursuivre une consommation « récréative » de substances illicites, que sa dose de TAO soit ou non suffisante. Par ailleurs, il est bien plus adéquat de se renseigner directement auprès de la personne en traitement pour savoir si elle est (in)satisfaite du dosage de méthadone/buprénorphine prescrit.

De manière intéressante, un troisième objectif parfois assigné au TU en cours de TAO est la motivation de la personne en traitement[58]. En effet, certaines personnes demandent à être testées pour « se motiver » à ne pas consommer hors TAO, percevant le résultat négatif du test comme une réussite, dont ils peuvent au demeurant faire état. Ces personnes conviennent avec leurs soignants d'effectuer des TUs, soit à intervalles prédéfinis, soit à l'improviste. A cet égard, une étude de 2013 portant sur la perception subjective des TUs par cent personnes recevant un TAO à Neuchâtel a révélé que 58% de celles-ci pensaient que les TUs doivent être poursuivis, 32% estimant qu'ils doivent être diminués ou supprimés[59].

Un quatrième objectif du TU serait de faciliter la discussion avec le soignant[60]. Sachant qu'un tel test peut être effectué à l'improviste, la personne en TAO serait incitée à annoncer spontanément ses consommations, puisque cette annonce la dispense du TU. Ceci favoriserait un dialogue productif entre soignant et soigné, dialogue pouvant déboucher sur une adaptation des modalités du traitement, notamment en fournissant un soutien psycho-social plus ciblé.

A ces deux avantages invoqués, on peut opposer différents inconvénients. D'abord, si la personne perçoit le résultat négatif du TU comme signe de victoire, elle risque de perdre sa motivation en cas de rechute mise en lumière par le test positif. L'outil est donc à double tranchant. En mettant l'accent sur un paramètre qui n'est pas réellement prioritaire, on communique le mauvais message : un TAO réussi est forcément le TAO d'une personne qui présente un TU négatif. Les médecins addictologues insistent pourtant pour souligner que les mérites du TAO sont d'abord d'assurer le meilleur état de santé physique et psychique du patient, ainsi que sa (ré)intégration sociale et professionnelle[61]. Ensuite, la discussion avec l'équipe soignante devrait être conçue d'emblée de manière franche, sans risque de sanctions via le TU. Dans le cas contraire, si la personne sait qu'elle risque de subir un test, elle hésitera à respecter ses rendez-vous lorsqu'elle a consommé auparavant[62]; de même, elle taira aux médecins les problèmes associés à sa consommation (par ex. une infection) - ou simplement elle falsifiera le test. Le dialogue en ressort biaisé[63].

Enfin, si l'équipe soignante tient vraiment à savoir si la personne consomme en dehors du TAO, elle dispose d'autres moyens pour être renseignée. En particulier, elle peut, avec l'accord du patient, établir une relation avec le pharmacien qui remet le traitement[64]. Celui-ci recevant régulièrement (au moins une fois par semaine pendant des mois ou des années) la personne, il la connaît et discute avec elle ; il est donc à même d'indiquer à l'équipe les éventuels problèmes constatés lors de la visite (par ex. état d'agitation inhabituel). Par l'intermédiaire du pharmacien, l'équipe soignante assure un suivi beaucoup plus rapproché que des TU à intervalles même mensuels. Il en va de même et a fortiori pour les centres spécialisés qui remettent eux-mêmes les traitements[65].

V. Aspects d'éthique médicale

Du point de vue éthique, s'il est imposé, le test repose sur une logique de menace : « si tu rates ton test, gare à toi ». Le principe de bienfaisance veut que l'intérêt à la santé physique et psychique de la personne soit au centre des préoccupations des soignants[66]. Or, l'exclusion, l'interruption du TAO ou toute mesure décourageant son suivi régulier n'est clairement pas dans l'intérêt de la personne en traitement. Elle n'est d'ailleurs pas non plus dans l'intérêt de l'entourage du patient ou dans l'intérêt de la société. Sous l'angle du principe d'autonomie, la personne doit pouvoir décider comment « structurer » son TAO[67]: un TU imposé contre sa volonté ou sous la menace d'un refus de traitement[68] viole le droit à décider librement, dont elle dispose malgré sa dépendance[69]. Sous l'angle de la justice, le TU imposé révèle une approche discriminatoire à l'égard d'un groupe de personnes déjà fortement stigmatisé.

Ethiquement, le traitement des addictions doit reposer sur une relation thérapeutique coopérative (principe d'autonomie), compréhensive (principe de bienveillance) et ouverte (principe de justice). La personne doit pouvoir faire confiance à son équipe soignante[70]. Les résultats, à court comme à long terme, sont bien meilleurs si la personne peut s'ouvrir et discuter franchement des difficultés rencontrées. Si elle sait qu'elle ne risque rien en disant la vérité, elle n'a aucune raison de dissimuler ses consommations parallèles ; au contraire, elle sait qu'elle peut ainsi obtenir l'aide dont elle a éventuellement besoin.

Si le test est présenté comme un outil motivationnel, encore faudrait-il que cet effet supposé soit démontré par la recherche clinique. Les revues des connaissances les plus récentes à ce sujet n'apportent aucun élément tangible[71]. En d'autres termes, rien ne prouve que les personnes régulièrement testées restent plus longtemps en traitement et/ou deviennent plus vite abstinentes et/ou se portent mieux. De surcroît, nous pensons qu'une approche motivationnelle d'emblée basée sur un paramètre non pertinent tel l'abandon de toute consommation parallèle risque d'être contre-productive pour les personnes ayant besoin d'un soutien à long terme.

On verrait très mal dans d'autres contextes médicaux, par exemple la prise de traitement à long terme contre le diabète ou le cholestérol, qu'on menace le patient pour l'amener à un meilleur engagement (adhérence). Il est donc surprenant qu'on le fasse ici, alors que, comme déjà répété, la population en cause est vulnérable et particulièrement encline à se détourner des professionnels de la santé - avec la menace pour la santé individuelle et publique qui va de pair[72].

VI. Aspects juridiques

Nous avons choisi d'aborder les aspects juridiques seulement après avoir examiné les arguments médicaux et éthiques pour et contre les TUs. En effet, pour peser les intérêts qui interviennent dans l'appréciation des conditions de l'art. 36 Cst., il faut pouvoir s'appuyer sur les savoirs de la médecine, voire des autres disciplines associées (pharmacie, sociologie, éthique). En d'autres termes, les chapitres précédents ont fourni la substance à même de servir de base à la présente conclusion juridique.

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a considéré, en lien avec l'art. 8 CEDH, qu'« une intervention médicale forcée, même mineure, en l'espèce l'obligation faite à un détenu de se soumettre à une analyse d'urine, est une atteinte au droit au respect de la vie privée »[73]. Dès lors, les TUs imposés par l'autorité publique - comme c'est le cas dans le Valais - constituent, à notre avis, des restrictions à la vie privée protégée par l'art. 13 al. 1 Cst.[74], voire à la liberté personnelle (droit à la liberté de choix) garantie par l'art. 10 al. 2 Cst.[75]. L'intégrité psychique des patients est également atteinte, ces tests pouvant être considérés comme des « intrusions dans l'espace psychique du patient ayant pour effet de contourner sa volonté individuelle »[76]. En effet, à la différence des analyses réalisées dans le cadre d'autres traitements médicaux, les TUs servent ici à vérifier que le patient n'a pas menti à son médecin.

Les tests imposés par l'autorité ne remplissent pas les conditions de l'art. 36 Cst. pour admettre une restriction aux droits fondamentaux. Ils ne respectent donc pas non plus les principes de l'activité de l'Etat consacrés à l'art. 5 Cst. (légalité, intérêt public et proportionnalité). D'abord, l'obligation de se soumettre à ces tests figure dans des directives, c'est-à-dire des ordonnances administratives qui n'ont pas valeur de loi, même au sens matériel[77]. Ensuite, à notre avis, quel que soit le but qu'on assigne au TAO, les tests urinaires ne constituent pas l'outil adéquat pour l'atteindre. En particulier, comme détaillé aux chapitres III et IV, les TUs ne sont pas une mesure apte à encourager l'abandon de consommations parallèles ou la limitation de la revente de substances au marché noir[78]. Ainsi, le recours à ces tests apparaît de toute façon contraire au principe de proportionnalité[79].

En outre, les TUs imposés par l'autorité ou par les médecins, par exemple par le biais des contrats thérapeutiques que le patient est obligé de signer, soulèvent la question de laliberté du consentement de la personne en traitement[80]. L'exigence d'un tel consentement libre et éclairé découle de l'art. 10 al. 2 Cst. dans les relations régies par le droit public. En droit privé, le fondement se trouve à l'art. 28 CC (protection de la personnalité)[81] et à l'art. 398 CO qui impose au médecin un devoir de diligence[82]. Dans le cas des TUs, si une menace est émise pour exiger un TU, qu'elle concerne le refus d'entamer un TAO ou l'altération du cadre de remise, le consentement du patient ne saurait à notre avis être qualifié delibre[83]. En effet, le patient n'a pas l'option d'être soigné ailleurs (autre institution/autre médecin) sans TU. On peut comparer avec l'hypothèse (fictive) d'un patient diabétique qui se verrait obligé, s'il veut être soigné, de porter un bracelet mesurant ses exercices physiques ; ou d'un témoin de Jéhovah qui serait contraint d'accepter une transfusion sanguine, quand bien même l'opération est médicalement faisable sans[84]. En résumé, en l'absence de consentement valable, imposer un test - qui de surcroît n'est pas médicalement indispensable - constitue une atteinte illicite à la personnalité[85].

Enfin, la diversité des pratiques cantonales mise à jour ici nuit à la cohérence du système, puisque les justifications médicales et éthiques des TAO devraient être les mêmes dans chaque canton. Cependant, à teneur des directives cantonales, une personne en traitement à Genève voit son intimité protégée, tandis qu'une autre dans le Valais doit tolérer des atteintes par le biais de tests aléatoires[86]. On conçoit mal qu'un contexte culturel propre à un canton puisse fonder des différences d'approches aussi marquées.

VII. Nos recommandations

Nous sommes d'avis que les TUs reflètent une vision paternaliste de la médecine à l'égard de personnes perçues comme réfractaires à l'autorité médicale et sociale. L'expérience clinique tout comme la recherche suggèrent que cette approche historique n'aboutit pas - dans la plupart des cas - aux résultats escomptés. Peu probants sur le plan scientifique, douteux sur le plan éthique et non-conformes au droit supérieur, les TUs devraient tout simplement être abandonnés dans le contexte des TAO. D'ailleurs, les recommandations internationales les plus récentes ne les mentionnent plus[87].

Nous préconisons que les références au TUs soient supprimées des directives cantonales et des « contrats thérapeutiques » imposés aux personnes en traitement. En début de traitement, le médecin qui aurait des doutes sur la réalité d'une consommation préexistante d'opioïdes doit demeurer libre de demander ce test diagnostic, à l'instar de n'importe quel examen diagnostic utile à la prise en charge de la personne qu'il soigne. En cours de traitement, ce n'est que si le patient en fait la demande que le TU peut être introduit selon les modalités qui lui conviennent, tout en lui précisant les limites de ce test en tant qu'outil motivationnel. Dans les deux cas, il s'agit d'une option à disposition, et non d'une obligation. Les directives cantonales devraient confirmer qu'une consommation parallèle peut toujours être annoncée spontanément sans aucun risque pour la personne en traitement, ni aucune conséquence négative sur son TAO.

Il est temps que le droit et les pratiques s'adaptent aux connaissances médicales et éthiques les plus récentes en matière d'addictions, quand bien même ce sujet demeure sensible compte tenu des nombreux préjugés qui subsistent[88].



[1] En 2020, selon substitution.ch

[2] Sur les définitions : Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, World Drug Report 2020, fascicule 3, p. 91.

[3] Nous recourons ultérieurement à l'expression « traitement agoniste opioïde » plutôt que la terminologie dépassée de « traitement de substitution ». A ce sujet, voir Willem Scholten et al., Access to treatment with controlled medicines rationale and recommendations for neutral, precise, and respectful language, Public Health 2017, p. 147 ss.

[4] Florian Labhart / Erik Maffli, Statistique nationale des traitements de substitution - Résultats 2019, Lausanne , Addiction Suisse, 2020, p. 13. Les traitements à base de diacétylmorphine (programme fédéral HeGeBe) constituent un cas particulier et ne sont pas examinés ici. Voir toutefois l' art. 13 al. 3 let. c de l'ordonnance relative à l'addiction aux stupéfiants du 25 mai 2011 (OAStup ; RS 812.121.6).

[5] Groupe Pompidou-Conseil de l'Europe, Traitements agonistes opioïdes Principes directeurs pour les législations et réglementations, 2017, points 1.5.2 et 1.5.3.

[6] Nous utilisons ici pour l'unique fois le terme « drogues ». Par la suite, nous privilégions le terme plus neutre « substances sous contrôle ».

[7] Les tests urinaires destinés à détecter des substances soumises à contrôle sont également utilisés dans d'autres contextes, notamment scolaire, professionnel, routier, judiciaire, voire assécurologique, en particulier en matière d'assurance invalidité. Nous n'abordons pas ces aspects. Voir toutefois Olivier Simon, Refus du dépistage urinaire ou salivaire des drogues à l'école : la position de la SSAM, Revue Médicale Suisse 2008, p. 1172 ss. ; Préposé fédéral à la protection des données, Rapport sur les tests de dépistage de la consommation de drogues durant l'apprentissage, 2001 ; Els Jackson et al., Does random drug and alcohol testing prevent injuries in workers ?, Cochrane Database of Systematic Reviews 2020 ; Valérie Junod et al., Rente AI et addiction : du mieux ?, Bulletin des médecins suisses 2020, p. 913 ss., et l' art. 55 al. 2 de la loi fédérale du 19 décembre 1958 sur la circulation routière (LCR ; RS 741.01).

[8] Jasmine McEachern et al., Lacking evidence for the association between frequent urine drug screening and health outcomes of persons on opioid agonist therapy, International Journal of Drug Policy 2019, p. 30 ss. ; Bhanu Prakash Kolla, Utility of urine Drug Testing in Outpatient Addiction Evaluations, Journal of Addiction Medicine 2019, p. 188 ss. ; Julie Dupouy et al., Does urine drug abuse screening help for managing patients? A systematic review, Drug and Alcohol Dependance 2014, p. 11 ss. ; Alan D. Kaye et al., Ethical Perspectives on Urine Drug Screening for Pain Physicians, Pain Physician 2014, p. e561 ss. ; Gary M. Reisfield / Karen J. Maschke, Urine Drug Testing in Long-term Opioid Therapy-Ethical Considerations, The Clinical Journal of Pain 2014, p. 680 ss. ; Carmen Aceijas, The Ethics in Substitution Treatment and Harm Reduction - An Analytical Review, Public Health Reviews 2012, p. 6.

[9] Art. 10 al. 2 et 13 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst. ; RS 101). Dans une étude effectuée en 2013 par Dr Marie-Claude Blaser et Dr Anne Pelet, environ 30% des personnes en traitement sondées à Neuchâtel (au total 100) ont déclaré s'être senties parfois ou souvent gênées, mal à l'aise ou fâchées en raison des TUs. L'étude a été présentée à la 13ème journée d'addictologie du 20 mars 2014 des HUG. Au regard du présent article, une des limites de cette étude est qu'elle n'interroge que les personnes qui poursuivent leur TAO, et non pas celles qui auraient arrêté leur traitement ou auraient renoncé à se faire traiter, précisément en raison des exigences intrusives en matière de TU. Elle ne concerne en outre qu'un canton et un nombre limité de patients.

[10] Dans le cadre du projet de recherche cité dans la page du titre à la note de base de page, nous avons mené des entretiens avec tous les Médecins et Pharmaciens cantonaux de cette région pour comprendre leur pratique. L'analyse de la réglementation et de la pratique administrative en Suisse alémanique et au Tessin fait l'objet de recherches et d'entretiens qui seront complétées d'ici fin 2022.

[12] Les articles à l'étranger abordent les TU sous l'angle médical, mais non pour apprécier leur conformité au droit. Voir les références citées à la n. 8 et 11.

[13] Loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup ; RS 812.121).

[15] Voir par ex. : Daniel Z. Buchman / Anita Ho, What's trust got to do with it? Revisiting opioid contracts, Journal of Medical Ethics 2013, p. 673 ss.

[16] Même s'ils sont appelés « contrats », on peut sérieusement douter de la qualification, dès lors que la personne qui souhaite accéder au traitement (et en a médicalement besoin) n'a ni le choix de les refuser ni celui de les modifier. En d'autres termes, lorsque le canton impose leur usage, la personne doit les signer si elle entend être traitée. Notre groupe de recherche FNS publiera prochainement son analyse de ces contrats.

[18] A Genève, Prof. Barbara Broers pour l'Unité des dépendances des HUG, ainsi que Dr Anne François, Dr Eric Bierens de Haan et Dr Jacques Lederrey pour le suivi en pratique privée ; dans le canton de Vaud : Dr Olivier Simon du service de médecine des addictions du CHUV ; à Neuchâtel : Dr Anne Pelet pour la pratique privée ; à Fribourg, un médecin pratiquant dans un centre spécialisé du canton ;dans le Jura Dr Raluca Brazdes Tapin du centre médico-psychologique pour adultes ; en Valais Dr François Pilet pour la pratique privée.

[19] A chaque fois avec notre mise en évidence.

[21] État de Vaud (VD), Projet de Directives du Médecin cantonal concernant la prescription, la dispensation et l'administration des médicaments soumis à la législation sur les stupéfiants destinés à la prise en charge de personnes présentant un syndrome de dépendance, projet du 17 mai 2021, p. 7. Au moment de la soumission de cet article, la directive n'était pas encore publiée.

[22] VS (n. 17), p. 2.

[23] NE (n. 17), p. 4.

[24] FR (n. 17).

[25] JU (n. 17).

[29] JU, Contrat thérapeutique multipartite fixant les modalités du suivi en officine des traitements par substitution aux opiacés, Eléments à insérer ou modifications dans le contrat multipartite selon entente entre les parties.

[30] Les pratiques cantonales sont encore différentes s'agissant de personnes en traitement déjà depuis des années auprès du même médecin, par rapport à celles qui débutent le TAO et que le médecin connaît encore peu.

[31] Dans le cadre de notre projet FNS, une soixantaine d'entretiens avec un échantillon plus représentatif des médecins suisses sera mené et devrait permettre de mieux comprendre la situation et les raisons du (non/)recours aux TUs.

[32] Chaque test diagnostic coûte une vingtaine de francs. Cf. par ex : site du laboratoire Viollier, Drogues, screening (urine). Au prix du test, s'ajoutent les honoraires - nettement plus élevés - du soignant ou du centre qui s'est occupé de gérer le prélèvement.

[34] Suivant l'importance de la consommation, l'héroïne se détecte entre 24-48 heures pour une consommation légère et jusqu'à cinq jours pour une consommation importante.

[35] Le professionnel de la santé cherchera à connaître l'histoire de la personne qui consulte : quand celui-ci a consommé, dans quel contexte, pour quelles raisons, à quel rythme, avec quels effets, avec quelles tentatives de traitement, et avec quelles motivations et quels autres problèmes de santé somatique ou psychiatrique, quels facteurs de crises, quel réseau de soutien préexistant.

[36] Hanne H. Brorson et al., Drop-out from addiction treatment : a systematic review of risk factors, Clinical Psychology Review 2013, p. 1010 ss. ; Louise Durand et al., Factors associated with early and later dropout from methadone maintenance treatment in specialist addiction clinics : a six-year cohort study using proportional hazards frailty for recurrent treatment episodes, Drug and Alcohol Dependence 2021. En Suisse en 2019, 22% des interruptions de traitement étaient dues à une perte de contact ou une rupture explicite ou une exclusion du programme : Labhart/Maffli (n. 4), p. 13.

[37] Art. 15d al. 1 LCR ; Groupe d'experts Sécurité routière, Guide aptitude à la conduite, 27 novembre 2020, p. 14 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2012 du 28 mars 2013 c. 3.3 ; par ex. en Argovie : Richtlinien zur betäubungsmittelgestützten Substitutionsbehandlung bei Opioidabhängigkeit, septembre 2019. Cf. également Cédric Mizel, La preuve de l'aptitude à la conduite et les motifs autorisant une expertise, Circulation routière 2019, p. 27 ss. ou Melissa Vetsch et al., Aptitude au volant : comment ne pas perdre les pédales?, Revue Médicale Suisse 2014, p. 1746 ss.

[38] L'Office fédéral de la statistique (OFS) recense 3'322 infractions de consommation de stupéfiants impliquant de l'héroïne enregistrées par la police, pour toute la Suisse et sur une année (2020). OFS, Loi sur les stupéfiants : Infractions de consommation par substance et répartition des substances consommées pour l'année 2020, 15 février 2021. Ces infractions ne débouchent pas toutes sur une condamnation. A titre de comparaison, une étude d'Addiction Suisse, de l'UNIL et du CHUV estime entre 1'327 et 2'808 le nombre d'épisodes de consommation d'héroïne, chaque jour, uniquement dans le canton de Vaud. Frank Zobel et al., Le marché des stupéfiants dans le canton de Vaud : Les opioïdes, 2017, p. 55.

[40] Nous avons mené des entretiens avec les Médecins cantonaux et Pharmaciens cantonaux des six cantons romands.

[41] Evidemment, la personne qui a délibérément menti à son médecin afin d'obtenir un stupéfiant ne peut ensuite invoquer la responsabilité civile (voire pénale) de celui-ci, à supposer que l'administration dudit stupéfiant nuise ensuite à sa santé. En effet, elle a consenti à - et même provoqué - la lésion.

[42] OMS (n. 33), p. 24.

[43] SSAM (n. 20), p. 42 ss.

[44] Cf. par ex. : Medical Advisory Secretariat - Ontario, Optimum methadone compliance testing :an evidence-based analysis, Ontario Health Technology Assessment Series 2006, p. 17.

[46] Les directives de la SSAM et de l'OMS recommandent ou mentionnent les TUs comme option, mais uniquement en phase d'induction. SSAM (n. 20), p. 41 ; OMS (n. 33), p. 24.

[47] Office fédéral de la santé publique (OFSP), Dépendance aux opioïdes - Traitements basés sur la substitution, Révision de juillet 2013, p. 6 ss.

[48] Dans ce sens pourtant (!), mais dans le cadre spécifique des conditions d'accès au traitement à base de diacétylmorphine : SSAM (n. 19), p. 27, affirmation d'ailleurs tempérée à la p. 5.

[49] OFSP (n. 47), p. 7.

[50] Pour des exemples d'utilisation des TUs pour évaluer le succès d'un traitement : Dennis M. Donovan et al., Primary outcome indices in illicit drug dependence treatment research : systematic approach to selection and measurement of drug use end‐points in clinical trials, Addiction 2012, p. 694 ss. ; Mary Ann Chutuape, Effects of urine testing frequency on outcome in a methadone take-home contingency program, Drug and Alcohol Dependance 2001, p. 69 ss. ; American Society of addiction Medicine (ASAM), Appropriate Use of Drug Testing in Clinical Addiction Medicine, Consensus Statement, 5 avril 2017, p. 5.

[51] Jin et al. (n. 11), p. 2248. Selon Avram Goldstein / Byron W. Brown, Urine testing in methadone maintenance treatment : application and limitations, Journal of substance Abuse Treatment 2003, p. 62, aux Etats-Unis, un TU positif peut entraîner le refus de recevoir des doses à prendre chez soi.

[52] Du moins selon les réponses des personnes interrogées citées à la n. 18.

[53] Il n'est pas exclu que les patients craignent l'exclusion en cas d'écart. En outre, des autorités judiciaires ou administratives (notamment en matière de circulation routière et de protection de l'enfance) s'appuient sur cette ambiguïté pour solliciter la communication des résultats des TUs. L'ambiguïté des directives occasionne des erreurs récurrentes tant du côté des médecins que des autorités.

[54] SSAM (n. 20), p. 5 ; OMS (n. 33), p. 28 ; WHO/UNODC/UNAIDS, Position paper - Substitution maintenance therapy in the management of opioid dependence and HIV/AIDS prevention, 2004, p. 8. Les articles 6 let. e et 8 al. 1 let. d OAStup mentionnent l'abstinence parmi d'autres objectifs des traitements de la dépendance ; l'OFSP précise ce but « n'occupe pas le premier plan ». OFSP, commentaire relatif à l'ordonnance sur le contrôle des stupéfiants (OCStup) et à l'OAStup, 2010, p. 28. Gustav Hug-Beeli, Betäubungsmittelgesetz (BetmG) : Kommentar zum Bundesgesetz über die Betäubungsmittel und die psychotropen Stoffe vom 3. Oktober 1951, Bâle 2016, art. 3e N 13 estime néanmoins que l'abstinence constitue l'objectif final à atteindre. Pour une critique de tout objectif d'abstinence ancré dans la loi : Commission fédérale pour les questions liées aux addictions (CFLA), La LStup a dix ans, Une analyse de la CFLA, septembre 2019, p. 11.

[55] SSAM (n. 20), p. 4 et 12 ; OFSP (n. 54), p. 27 ; OMS (n. 33), p. 28 et 37 ; WHO/UNODC/UNAIDS(n. 54), p. 9.

[56] SSAM (n. 20), p. 82 ; OMS (n. 33), p. 15 ; WHO/UNODC/UNAIDS (n. 54), p. 9.

[57] OFSP (n. 47), p. 12.

[58] ASAM (n. 50), p. 5.

[59] Présentation susmentionnée de Dr Marie Claude Blaser et Dr Anne Pelet, dont les limitations ont été exposées (n. 9).

[60] ASAM (n. 50), p. 5.

[61] SSAM (n. 20), p. 11.

[62] Dans l'étude réalisée sur les personnes en traitement à Neuchâtel, 87 % des patients ont déclaré que, dans le passé, les TUs les poussaient parfois à manquer leur rendez-vous. Voir n. 9 et 59.

[63] Freya Vander Laenen, How drug policy should (not) be : Institutionalised young people's perspectives, International Journal of Drug Policy 2011, p. 494.

[65] Le site Praticien Addiction Suisse contient une page avec toutes les étapes réalisées par pharmacien lors de la remise d'un TAO. L'étape « Sécurité de la remise des TAO » indique « la remise d'un TAO en officine nécessite une attention particulière, liée au profil de risque des substances administrées et des caractéristiques particulières de la patientèle ».

[66] En général : Tom L. Beauchamp / James F. Childress, Principles of Medical Ethics, 8ème ed., New York 2019, p. 217 ; en matière de TAO : Aceijas (n. 8), p. 6.

[67] Beauchamp/Childress (n. 66), p. 99 ; Aceijas (n. 8), p. 6.

[68] Pour rappel, la personne qui refuse de signer le contrat thérapeutique que lui soumet le médecin se voit refuser l'accès au traitement. Voir n. 16.

[69] Susanne Uusitalo / Yvette van der Eijk, Scientific and conceptual flaws of coercive treatment models in addiction, Journal of Medical Ethics 2016, p. 18 ss. ; Bennett Foddy / Julian Savulescu, Addiction and autonomy : can addicted people consent to the prescription of their drug of addiction, Bioethics 2006, p. 1 ss.

[70] Buchman/Ho (n. 15), p. 674.

[71] McEachern et al. (n. 8), p. 30 ss. ; Jin et al. (n. 11), p. 2252 ; Dupouy et al. (n. 8). Une étude française en cours (identifiant ClinicalTrials.gov : NCT02345655) s'intéresse à l'impact des TUs dans la prise de décisions des médecins en addictologie. L'étude citée en n. 9 et 59 souffre de plusieurs limitations (voir n. 9).

[73] Arrêt de la CEDH 21132/93 du 6 avril 1994 (Peters c/ Pays-Bas) sur la recevabilité de la requête. En revanche, sous l'angle de l'art. 3 de Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH ; SR 0.101) sur les traitements cruels ou inhumains, la Cour estime qu' « exiger d'un détenu qu'il fournisse un échantillon d'urine en présence d'un surveillant n'atteint pas le minimum de gravité nécessaire pour constituer un traitement inhumain ou dégradant ». Id. Plus récemment, un test urinaire réalisé au moyen d'un cathéter a cependant été considéré par la CEDH comme une violation de l'art. 3 CEDH. Arrêt de la CEDH 65290/14 du 2 juillet 2019 (R.S. c. Hongrie).

[74] Voir aussi : Maya Hertig Randall / Julien Marquis, in : Martenet/Dubey (édit.), Commentaire Romand, Constitution fédérale, Bâle 2021, art. 10 N 38 (cit. CR-Cst.-auteure).

[75] « Cette disposition protège l'individu, dans l'exercice de sa faculté d'apprécier une situation de fait déterminée et d'agir selon cette appréciation». Yves Donzallaz, Traité de droit médical - Volume I, L'État, le médecin, les soignants et le patient : entre droit, éthique et règles de l'art, Berne 2021, p. 586. Dans un arrêt du 4 janvier 1983, le Tribunal fédéral a rejeté la qualification d'ingérence grave à la liberté personnelle s'agissant de l'injonction de remettre un échantillon d'urine (ZBl 1984, p. 46). Toutefois, cet arrêt ancien ne précise pas si la prise d'urine s'effectuait sous ou sans contrôle visuel.

[76] CR-Cst.-Hertig Randall/Marquis, art. 10 N 40. Voir ATF 109 Ia 273 c. 7 ; Arrêt du Tribunal fédéral 6B_708/2009 du 14 décembre 2009 c. 1.6 et Arrêt du Tribunal fédéral 6B_586/2008 du 22 août 2008 c. 2 en matière de détecteurs de mensonges.

[77] Thierry Tanquerel, Manuel de droit administratif, Zurich 2018, N 477.

[78] Voir art. 8 al. 1 OAStup sur les buts du traitement avec prescription de stupéfiants.

[79] Sur cette notion, voir par ex. : Jacques Dubey, in : Martenet/Dubey (édit.), Commentaire Romand, Constitution fédérale, Bâle 2021, art. 36 N 116 ff.

[80] Voir à ce sujet ; Olivier Guillod avec la collaboration de Frédéric Erard, Droit médical, Bâle 2020, chapitre 8.

[81] ATF 133 II 121 c. 4.1.1.

[82] ATF 133 II 121 c. 4.1.2.

[83] Arrêt du Tribunal fédéral 4P.265/2002 du 28 avril 2003 c. 5.2 : « Le consentement éclairé du patient doit être donné librement, et pour être valable, il ne doit être entaché ni de tromperies (mensonges du médecin), ni de pressions, et encore moins de menaces ».

[84] Cf. par ex. Arrêt de la CEDH 302/02 du 10 juin 2010 (Jéhovah Witnesses of Moscow and others v. Russia), c. 136 (« The freedom [..] to select an alternative form of treatment, is vital to the principles of self-determination and personal autonomy. ») ; Arrêt du Tribunal fédéral 6B_730/2017 du 7 mars 2018 c. 2.6 dans lequel le témoin de Jéhovah s'est vu proposer un traitement dans une autre institution, sans transfusion, arrêt commenté par Dario Picecchi, Bundesgericht, Strafrechtliche Abteilung, Urteil 6B_730/2017 vom 7. März 2018, A. gegen Generalstaatsanwaltschaft des Kantons Bern, PJA 2018, p. 753. Voir également Conseil d'Ethique Clinique des HUG, Avis consultatif du Conseil d'Ethique Clinique (CEC) sur la question du refus des transfusions de sang par les membres de l'Association des Témoins de Jéhovah (ATJ), 2004 (et les nombreuses références que cet avis cite).

[85] Les conventions entre les patients et les médecins, dans lesquels les personnes en traitement s'engagent, en tout temps, à accepter des tests urinaires, peuvent d'ailleurs, à notre avis, être considérés comme des engagements excessifs au sens de l'art. 27 al. 2 du Code civile suisse du 10 décembre 1907 (CC ; SR 210), dépourvus d'effets juridiques. Sur les engagements excessifs en matière médicale, cf. Guillod (n. 80), N 359.

[86] Les questions que nous avons posées aux médecins s'agissant de leur pratique de TUs ne nous permettent pas de généraliser et donc de pouvoir affirmer que les tests seraient plus systématiques ou plus stricts dans certains cantons. Il semblerait toutefois que dans les cantons de Genève et de Vaud, ils soient peu utilisés (n. 18).

[87] Groupe Pompidou-Conseil de l'Europe (n. 5).