I. Les faits
En septembre 1865, J. J. Ryniker, imprimeur originaire de Schinznach en Argovie séjourne à Altdorf et y distribue une brochure de sa composition intitulée « Die Garantien des allgemeinen Wohls » (Les garanties du bien commun). Ce pamphlet à teneur panthéiste contient notamment les passages suivants : « La vie de la nature est notre divinité, et cela aussi longtemps que l'existence d'une autre divinité ne sera pas démontrée. Christ a prêché la justice et l'amour - l'action des ecclésiastiques est inspirée par l'égoïsme le plus odieux. Est-ce bien là la religion hors de laquelle il n'y a point de salut ? Le diable et l'enfer ne sauraient procéder de manière plus diabolique et infernale que les papes et l'Église catholique ne l'ont fait au nom de la religion chrétienne (…) Le protestantisme est aussi gangrené en ce qu'il s'appuie sur la foi plutôt que sur la morale (…) ».
Les autorités de police lui adressent plusieurs avertissements et menacent de le renvoyer du canton s'il persiste. Plutôt que de se soumettre, Ryniker se plaint au conseil exécutif, lequel soumet l'affaire au juge d'instruction. Après enquête, celui-ci défère Ryniker au tribunal criminel pour avoir « répandu une brochure renfermant des propositions blasphématoires contre la doctrine chrétienne en général ainsi que des assertions injurieuses pour l'Église catholique, pour son chef et les saintes Écritures »[1].
II. La condamnation
Le canton d'Uri ne disposait pas de code pénal. À l'instar de plusieurs cantons de Suisse centrale et du Valais, il avait, après la chute de la République helvétique (1802)[2], remis en vigueur sa législation d'ancien régime, en l'occurrence le Landbuch de 1608, dont il avait ordonné l'impression en 1823[3]. Il existait certes un projet de modernisation abolissant notamment les châtiments corporels, mais il n'entra jamais en vigueur, si bien que l'ancien coutumier s'appliquera jusqu'en 1942[4]. Le Landbuch prévoyait, à son art. 254, que « [s]ont considérés comme crimes […] le blasphème, le meurtre et l'homicide avec préméditation, les délits contre le respect dû aux autorités, la révolte, etc., en général ce qui entraîne la peine de mort ou des peines corporelles graves »[5].
En se fondant sur cet article, le tribunal criminel d'Uri déclare Rynicker coupable de blasphème contre Dieu et la religion et le condamne à vingt coups de verge donnés par la main du bourreau à huis clos, à huit jours de prison, au pain et à l'eau de deux jours l'un, au bannissement à perpétuité, à dix ans de privation des droits civils et aux frais. Il ordonne en outre la mise à néant de la brochure saisie. Ryniker fait appel et comparait le 11 octobre 1865 devant le tribunal cantonal, lequel confirme le jugement de première instance en précisant qu'en audience le prévenu avait répété et confirmé ses assertions « de la manière la plus inconvenante »[6]. La sentence est exécutée par le bourreau d'Uri[7].
III. Le contexte et les réactions
En ce milieu du XIXe siècle, les peines corporelles subsistaient dans certains cantons suisses sans susciter de grands débats. Le tribunal criminel d'Argovie avait ainsi condamné un voleur étranger à recevoir dix coups de bâtons le 16 octobre 1865[8]. C'est le caractère religieux du délit qui va donner son retentissement à l'affaire Ryniker. Celle-ci intervient en effet dans une phase de reprise du Kulturkampf, provoquée par la promulgation, en 1864, de l'encyclique Quanta cura et du Syllabus du pape Pie IX. Le pape y condamnait formellement la liberté de conscience et des cultes, la liberté d'opinion et de la presse (en rappelant que son prédécesseur les qualifiait de « délire ») ainsi que le panthéisme, le rationalisme et la séparation de l'Église et de l'État[9].
Les forces progressistes suisses se mobilisent. Une assemblée publique convoquée à Berne le 12 novembre 1865 réunit près de 2000 personnes, venues notamment de sections de la Société du Grütli, de sociétés politiques, militaires ou de gymnastique[10]. Entre-temps, un autre scandale a éclaté : le juge du tribunal qui avait condamné Ryniker préside également une loterie « pour les pauvres »; or il s'avère qu'une toute petite partie seulement des gains est reversée aux nécessiteux[11]. La loterie occupe autant les orateurs que la bastonnade. Cet « indignation meeting » à l'américaine finit par adopter une résolution condamnant le jugement des tribunaux d'Uri et adressant une pétition aux chambres fédérales pour que soient introduites dans la constitution la garantie de la liberté de conscience et de croyance religieuse, l'interdiction de toute poursuite pour la manifestation de ses croyances religieuses, l'abolition des peines corporelles et l'interdiction des loteries et des jeux de hasard sur le territoire suisse. La société suisse des carabiniers est en outre invitée à refuser au canton d'Uri le prochain tir fédéral (qui lui était assuré) jusqu'à ce que Ryniker ait reçu satisfaction[12].
IV. La procédure devant les autorités fédérales
Selon la constitution de 1848 alors en vigueur, le contrôle de l'application par les cantons des libertés individuelles relevait de la compétence du Conseil fédéral et, en dernière instance, de l'Assemblée fédérale (art. 74 ch. 8)[13]. Ryniker s'adresse ainsi au Conseil fédéral le 20 janvier 1866, en concluant à l'annulation du jugement uranais, à la publication de la cassation dans la feuille officielle du canton d'Uri et à une indemnité de 2790 fr. pour les « mauvais traitements, les humiliations et les dommages qu'il a subis ». Il estime sa condamnation contraire à la constitution fédérale, en particulier aux art. 4 (égalité devant la loi, le canton d'Uri ayant autorisé un jésuite à prêcher malgré l'interdiction de l'art. 58), 44 (liberté de culte) et 45 (liberté de presse)[14].
Le 28 février 1866, le Conseil fédéral rejette la réclamation. Selon lui, l'art. 4 de la constitution fédérale « ne signifie nullement que le tort de l'un ne puisse encourir condamnation qu'autant que l'on sévisse contre le tort de tous, même si l'on voulait admettre que les ecclésiastiques du canton d'Uri se sont aussi rendus coupables d'abus contre la libre expression de la pensée ». L'art. 44 ne garantit quant à lui que le libre exercice du culte des confessions chrétiennes reconnues ; « si dès lors le recourant croit en conscience que ses principes ne sont que ceux du pur et vrai christianisme, la propagation de ces idées ne rentre en tout cas ni dans la notion du service divin, pas plus qu'elle ne constitue un culte de l'une des confessions chrétiennes reconnues ». Enfin, l'art. 45, s'il garantit la liberté de presse, autorise toutefois les cantons à statuer sur les mesures nécessaires à la répression des abus (cela même si le canton d'Uri ne possède pas de loi pénale). Le Conseil fédéral n'est par ailleurs pas compétent pour statuer sur une demande en indemnité, une telle demande ne pouvant être formée que devant les tribunaux[15].
Tenace, Ryniker fait alors appel à l'Assemblée fédérale. Saisi le premier, le Conseil des États rejette sa demande le 12 décembre 1866. Dans son rapport du 14/17 décembre 1866, la commission du Conseil national reprend à son compte l'argumentation du Conseil fédéral quant à l'absence de violation des art. 4 et 44 de la constitution fédérale. Elle se montre en revanche plus réservée s'agissant de l'art. 45, estimant qu'une législation cantonale restreignant les abus de presse devrait être soumise au veto ou à l'approbation du Conseil fédéral. Les membres de la commission ajoutent que la loi fédérale et celles de Zurich, Berne, Soleure et Saint-Gall ont éliminé le « crime » de blasphème de leur code, en le remplaçant par le délit de trouble apporté au culte et qu'ils « désirent sincèrement que ce bon exemple trouve partout des imitateurs ». Au début de leur rapport, ils avaient par ailleurs précisé qu'il « se peut qu'aux yeux d'un grand nombre de personnes se plaçant à un point de vue philosophique et plus libre, le blasphème n'existe pas, et qu'en tous cas les passages cités et autres analogues ne renferment rien de blasphématoire ». Malgré cela, tant que les cantons seront souverains en matière pénale, « il leur sera loisible de conserver la notion du blasphème et d'y attacher une peine criminelle ». La commission du Conseil national demande à l'Assemblée fédérale d'écarter comme mal fondée la demande du réclamant, tout en « exprimant l'espoir que la promulgation et la mise en vigueur du projet basé sur des principes plus humains, plus rationnels, d'un nouveau code pénal pour le canton d'Uri, rendra impossible des recours de la nature de celui dont il s'agit […] »[16].
Le 18 décembre 1866, l'Assemblée fédérale rejette la demande de Ryniker « dans l'attente que le canton d'Uri mettra [sic] sa législation pénale en harmonie avec les principes de l'humanité et rendra [sic] à l'avenir impossible le prononcé de jugements d'une nature de celui dont il s'agit »[17].
Cette inaction des autorités fédérales sera dénoncée en 1870 par le révolutionnaire russe Bakounine : dans un texte intitulé « Les ours de Berne et l'ours de Saint-Pétersbourg », il reproche au gouvernement helvétique ses complaisances face aux exigences du despotisme (russe) et s'en prend en passant aux « cantons où l'on condamne au fouet les personnes qui osent nier la divinité de Jésus-Christ, sans que le pouvoir fédéral s'en mêle »[18].
V. Incidences sur la révision de la Constitution fédérale
L'affaire Ryniker se produit simultanément aux travaux de l'Assemblée fédérale concernant la première révision de la constitution fédérale de 1848, portant précisément sur les droits des Suisses de confession non chrétienne. La constitution de 1848 n'accordait en effet la liberté de culte (art. 44), la liberté d'établissement (art. 41) et le droit à l'égalité de traitement qu'aux Suisses des confessions chrétiennes, ce qui excluait en particulier les juifs. Or, en 1864, la France avait subordonné la conclusion d'un traité commercial avec la Suisse à la liberté d'établissement des deux États, ce qui aurait impliqué que, contrairement aux juifs suisses, les juifs de nationalité française pouvaient s'établir librement en Suisse. Dans son message du 1er juillet 1865, le Conseil fédéral proposait de reconnaître aux non-chrétiens le droit d'établissement et d'égalité de traitement ainsi que la liberté de culte[19]. Par la suite, la commission du Conseil national avait décidé de compléter l'art. 44 par la garantie de la liberté de conscience et l'interdiction de toute restriction aux droits civils ou politique fondée sur la profession de foi, tout en permettant aux cantons et à la Confédération de prendre des mesures pour garantir l'ordre public et la paix confessionnelle[20].
Les débats au Conseil national s'ouvrent le 23 octobre 1865. L'affaire Ryniker est abordée dès les premières discussions concernant l'art. 44. Wihelm Joos[21] propose de retirer aux cantons le droit de prendre des mesures pour garantir l'ordre public et la paix confessionnelle, en se basant sur le scandale provoqué par le jugement Ryniker. Auteur lui-même de pamphlets anticatholiques, il aurait pu s'exposer à la même sanction, comme le relève un autre parlementaire. Le conseiller national uranais Arnold répond que les coups de verges sont une peine que l'on rencontre « dans bien d'autres cantons qui se disent fort avancés », que Ryniker avait porté atteinte à la religion des autres citoyens en prononçant « les plus vifs blasphèmes » et que ses paroles devant le tribunal étaient allées bien plus loin que son livre. Un amendement précisant que « nul ne peut être poursuivi pour sa croyance religieuse » est finalement rejeté[22]. Une proposition semblable présentée au Conseil des États est également refusée. Lors de cette séance, le conseiller aux États uranais Lusser cherche à justifier le jugement de son canton en affirmant que Ryniker est une « mauvaise tête, un blasphémateur, un athée, un perturbateur de l'ordre public qu'on ne peut tolérer »[23]. Après de longs débats, les chambres fédérales se mettent d'accord sur un nouvel art. 54a (appelé « article Ryniker ») selon lequel « il demeure réservé à la législation fédérale d'interdire l'application de certains genres de peines »[24].
Chaque projet de modification est soumis séparément au vote du peuple et des cantons. Le scrutin a lieu le 14 janvier 1866. Seules les révisions des art. 41 (liberté d'établissement) et 48 (égalité de traitement) obtiennent la double majorité (170'032 voix contre 149'401 ; refus des cantons de Berne, Lucerne, Uri, Schwyz, Nidwald, Zoug, Appenzell, Saint-Gall, Grisons et Valais). La liberté de conscience et de culte étendue aux confessions non chrétiennes (art. 44 révisé) et la suppression des peines corporelles (art. 54a) sont rejetées par le peuple et les cantons[25]. Le taux de rejet est particulièrement élevé dans le canton d'Uri (66 voix contre 1719 pour l'art. 44 et 58 voix contre 1718 pour l'art. 54a). Mais le refus provient aussi des cantons romands opposés à une unification du droit pénal et civil, par crainte que ne leur soit imposée une conception germanique du droit[26]. Ainsi, le conseiller national radical vaudois Jules Eytel se déclare fermement opposé aux peines corporelles, mais rejette catégoriquement l'art. 54 « car il nous conduit tout droit au Code pénal fédéral […] si l'on arrive au Code pénal fédéral nous risquons fort d'avoir la bastonnade »[27].
VI. Les révisions ultérieures et la constitution de 1874
L'échec ne signifie pas la fin de demandes de réformes. Le parlement issu des élections de 1869, à tendance plus radicale, décide de réviser la Constitution pour qu'elle soit « accordée aux nécessités du temps »[28]. Le 22 décembre 1869, le Conseil des États invite le Conseil fédéral à « ouvrir une enquête dans le but de constater s'il existe réellement des cantons où l'on use encore de moyens violents vis-à-vis des prévenus pour leur arracher des aveux ». Dans un rapport rendu le 6 mai 1870 déjà, le Conseil fédéral résume les réponses reçues de chaque canton quant à leur législation et leur pratique et conclut que seuls les cantons d'Uri, d'Appenzell Rhodes-Intérieures et de Schaffhouse autorisent de tels moyens de contrainte[29]. Les deux premiers cantons votent cependant leur suppression en mars et avril 1870. Schaffhouse maintient en revanche l'art. 21 de la loi sur la procédure criminelle qui permet de punir de réclusion au pain et à l'eau ou de fustigation le prévenu qui « refuse avec obstination de répondre aux questions qui lui sont adressées ou s'il se comporte envers l'autorité d'une manière offensante ». Le gouvernement cantonal argue qu'il ne s'agit pas de moyens de contrainte « pour obtenir des aveux », mais pour sanctionner la conduite injurieuse d'un prévenu, distinction très discutable pour le Conseil fédéral qui fait remarquer qu'une « peine corporelle pour le silence du prévenu diffère à peine d'un châtiment corporel pour la dénégation. En tout cas, il serait difficile d'en faire comprendre la différence à un accusé ». Le Conseil fédéral s'autorise toutefois à conclure que « dans aucun canton on ne recourt plus à l'emploi de moyens violents pour obtenir des aveux, et en particulier que les peines corporelles à cet effet sont entièrement abolies […]. Nous ne croyons pas dès lors devoir ne formuler aucune proposition à cet égard et nous pensons qu'il suffira de prendre acte de ce rapport au procès-verbal »[30].
Lors des débats sur la révision de la Constitution qui s'ouvrent en 1870, c'est le conseiller national Eytel (le même qui s'était opposé à « l'article Ryniker » cinq ans plus tôt) qui propose d'ajouter à l'article 60 (interdiction de la peine de mort) que « les peines corporelles sont interdites », en précisant que cette interdiction vise « les mutilations, la torture, par exemple, dans la prison, pour obtenir un aveu, la marque et la schlague. Les seules peines admises doivent être, avec l'amende, l'emprisonnement et la réclusion »[31]. L'interdiction de la peine de mort et des peines corporelles est adoptée par les deux chambres[32]. Cette révision connaît cependant elle aussi un échec devant le peuple et les cantons : en effet, à celui des anciens cantons catholiques du Sonderbund (le canton d'Uri connaissant le taux de rejet le plus élevé de 96.4 %) s'ajoute le refus des cantons romands protestants, toujours opposés à l'unification du droit[33].
La limitation de l'uniformisation à quelques domaines essentiels (capacité civile, droit commercial, propriété littéraire et artistique, poursuite pour dettes et faillites) permettra l'adoption de la Constitution de 1874 qui décrète en particulier l'abolition des peines corporelles (art. 65 al. 3)[34] et prévoit expressément que « nul ne peut être contraint [..] d'accomplir un acte religieux, ni encourir des peines, de quelque nature qu'elles soient, pour cause d'opinion religieuse » (art. 49 al. 2). Le canton d'Uri est à nouveau le principal opposant, avec 92% de refus[35].
VII. Résurgences
L'abolition des peines corporelles n'est cependant pas définitivement acquise. Plusieurs cantons considèrent en effet que l'art. 65 de la constitution ne concerne que les peines prononcées par le juge, mais pas les sanctions disciplinaires infligées aux détenus voire aux témoins qui refuseraient de répondre avec obstination ou répondraient de façon inconvenante. Ceux-ci pouvaient alors subir une détention plus rigoureuse, avec liens, être mis au pain et à l'eau ou être fustigés[36]. Le débat sur les peines corporelles refait surface en 1892, à l'occasion d'une affaire schaffhousoise - triple meurtre commis à la hache sur un homme, une femme et un enfant - lors de laquelle le juge d'instruction Heinrich Bolli avait fait fouetter les suspects pour leur arracher des aveux[37].
Interpellé par un Conseiller national neuchâtelois, le Conseil fédéral adresse aux cantons une circulaire datée du 25 mai 1894 : « MM Jeanhenry et quelques cosignataires ont attiré notre attention sur le fait que les dispositions de l'art. 65 de la constitution fédérale, qui interdit les peines corporelles, ne serait pas observé dans tous les cantons suisses. Sans vouloir empiéter sur les compétences du Tribunal fédéral […] nous avons pensé pouvoir également soumettre la question à votre bienveillante attention. Nous vous prions donc de bien vouloir examiner si votre législation et vos règlements sont en accord avec les dispositions de l'article 65 et, pour le cas où cela ne serait pas, si le moment ne serait pas venu d'établir cet accord. À nos yeux, l'interdiction des peines corporelles (bastonnade) statuée à l'article 65 de la constitution fédérale est absolument générale et s'applique aussi bien aux châtiments corporels employés comme moyens disciplinaires qu'aux peines corporelles proprement dites prononcées par le juge. Cette interprétation nous paraît devoir découler de la discussion qui a eu lieu au Conseil national le 19 décembre 1871 sur la proposition de M. Eytel. Les commentateurs de notre droit pénal paraissent partager cet avis (voir en particulier Stooss […]). Cette manière de voir a du reste été admise par la grande majorité des cantons suisses, dont la plupart ont, depuis 1874, conformé leur législation aux dispositions de la constitution fédérale. Enfin cette interprétation nous paraît seule correspondre au développement de notre civilisation et aux saines notions du droit de punir […] »[38].
À la suite de cette circulaire, le canton de Thurgovie supprime la fustigation et en informe le Conseil fédéral. Schaffhouse refuse de le faire et ne modifiera sa législation qu'en 1907. La fustigation est également maintenue officiellement, à titre de sanction disciplinaire en prison, dans les cantons de Nidwald et Bâle-Campagne[39]. En outre, même sans base légale ou réglementaire, elle continue d'être pratiquée dans certains établissements pénitentiaires jusqu'au début du XXe siècle[40].
Quant aux mesures d'aggravations de la réclusion - chaînes, cellule obscure ou cachot, régime réduit au pain et à l'eau, etc. - prévues par certains droits cantonaux, elles subsistent jusqu'à l'entrée en vigueur du Code pénal suisse en 1942[41]. Celui-ci les exclut en tant que peine : les art. 35 et 36 CPS (1937) prévoient uniquement que les condamnés portent un costume spécial et précisent qu'ils reçoivent l'ordinaire de l'établissement. De telles mesures sont toutefois demeurées possibles à titre de sanction disciplinaire du droit cantonal dans le cadre de l'exécution des peines[42]. Depuis 2002, les sanctions disciplinaires sont exhaustivement énumérées à l'art. 91 al. 2 CP[43].
Le débat sur la notion de peine corporelle n'est cependant pas totalement clos, le droit suisse n'excluant pas totalement que, dans certaines limites, les parents disposent d'un droit de correction physique sur leurs enfants[44]. Une motion du 14 juin 2018 tendant à l'interdiction explicite des châtiments corporels - faisant suite à plusieurs recommandations en ce sens du Conseil du Comité des droits de l'enfant et des droits de l'homme de l'ONU - a ainsi été classée sans suite en décembre 2019 après le départ de son auteure du Conseil national[45].